« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

"Il manque un morceau vert au-dessus du rêveur..." épisode 16 d

Il s'agit parfois d'un simple défaut de segmentation, d'une coquille et surgit l'inattendu dans sa relative bizarrerie:

"lep…",

qui oriente la lecture vers ces abréviations de prénoms russes souvent redoublés, vers un sigle, un acronyme sans fondement. Le deuxième mot par conséquent altéré croise en son début de nouvelles sinuosités un peu molles, des boucles, des noeuds:

"rop.. ».

On voit bien l'avantage de l'arrêter ainsi: deux fois trois lettres avec la même alternance de voyelles et de consonnes et la même finale; la véritable continuité est différente et parvient au mot fautif tout entier:

"…ropre»,

inconnu dont la surcharge - par rapport à

"rope»
attendu- rend songeur. La lecture sidérée par cette distorsion reprend alors son cours et rétablit dans son intégrité le mot

« propre »

éjecté de la capsule calamiteuse, de la bulle ou du kyste qu'avait momentanément fait gonfler l'arrêt du regard et de la pensée sur cette anomalie. Les chemins de traverse proposés par l'erreur (le roman russe, la NEP ou la corde) sont abandonnés à regret mais le sentier suivi présente de nouveaux attraits qui les font vite oublier: ceux de la

« délectation morose… »

avec la reprise du module précédemment bloqué

« R, O… »

adouci cette fois par sa suite immédiate. Ainsi:

"Lep ropre de la délectation morose…"

aura fourni le matériel nécessaire: la corde et le voyeur… car c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'esprit du rédacteur de l'article:

"Mais n'est-ce point là la définition du voyeur, lep ropre de la délectation morose?"

Le déplacement de la lettre a permis le transfert d'un film à l'autre: c'est le même acteur qui interprète le voyeur de

"Rear window" Virtuels

et l'inspirateur malgré lui du crime dans

"Rope". Virtuels

"D'ailleurs il n'y a pas de téléviseur dans la chambre du motel…»

ce commentaire hasardeux s'est vite révélé faux; en effet, dans la pénombre de la pièce apparaît fugitivement la partie supérieure d'un téléviseur gris de format réduit, vraisemblablement fixé sur un pied qui doit mettre l'écran à la hauteur du voyageur couché. Il n'est visible qu'une fois, rapidement, élément secondaire d'un mouvement panoramique dont la ligne de force est ailleurs. Le film joue de ces indices discrets pour brouiller le temps dont l’approche ne semble obéir ni à une date précise (malgré l’indication du générique) ni à une période scrupuleusement marquée: temps composite, agglomérat, mixte, précipité d’éléments colorés et instables, flottants. D’ailleurs le téléviseur, dans l’image, s'est ajouté aux autres images (gravures, tableaux: oiseaux, femmes nues menacées dans leur intimité, scènes graves ou libertines, assomptions d'anges, animaux naturalisés -oiseaux surtout- miroirs de schizophrènes) comme une indication indirecte de ce qui les fait toutes venir et tenir : le cinéma. Virtuels
C'est maintenant une anagramme qui ruine l'image, la renverse, disposant ses feux cruels sur la scène que l'on croyait à jamais figée, laser:

"Voilà un crétin".

Les enfants des écoles munis de petits drapeaux tricolores, les notables du coin, la foule des villageois, tous sont rassemblés autour du monument aux morts, non loin de la mairie où auront lieu, après les discours d'usage, la réception et le repas (L’enfant a retenu:

« Truite meunière »,

« N’oubliez pas de servir la sauce… »).

Voici les voitures officielles, décapotables noires, il fait beau. Les prestigieux invités, lui petit, bedonnant et chauve

(« Il a un oeil de verre… »),

elle, élégante, sourire figé, caressant au vol quelques jeunes têtes avant de recevoir, au centre de la place, une gerbe offerte par deux jeunes filles en blanc coiffées de capelines

(« Elle m'énerve avec ses capelines… » ).

Et c'est à peu près tout: Vincent Auriol

(VINCENTAURIOL, VOILÀ UN…)

et la Présidente viennent de passer

(« On lui avait dit de servir la sauce avec la truite meunière mais évidemment elle n'a rien écouté… » ).

« Aller dans le parc… »

c’était un coteau circulaire en friche descendant par degrés vers la mine, vaste terrain de jeu pour les enfants qui cherchaient les nids et mangeaient à la saison les guignes sauvages ou montaient sur la colline appelée le

« Truc »

dont les escarpements calcaires se trouaient çà et là d’entrées de galeries aussi blanches que celles des puits voisins devaient être noires, interprétées comme des gîtes d’animaux toujours invisibles. Pour utiliser quelque subvention de l’Etat, la municipalité avait voulu faire de cette cuvette un parc et le mot prestigieux circulait, adhérant peu à peu à l ’endroit métamorphosé davantage par cette appellation que par le travail inutile des excavatrices et autres engins qui tracèrent tant bien que mal dans les bandes calcaires ou argileuses du terrain un chemin contourné dont les lacets s’étageaient dans la pente s’inscrivant chaque fois dans des renfoncements de plus en plus escarpés et stériles qui donnèrent au lieu l’aspect d’un chantier à l’abandon qui perdura. Les sapins plantés au hasard entre les arcs du chemin végétèrent, à demi masqués par les herbes folles et les arbustes retrouvés de l’ancienne végétation. Ces courbes descendant vers l’entrée des puits de mine ne furent jamais une promenade et les travers restèrent un terrain de jeux qui peu à peu retournait à sa sauvagerie initiale et les degrés tracés par les bulldozers furent croisés par de multiples sentiers en ligne droite, sillages des enfants traçant leurs pistes dans ce maquis imaginaire. Le bruit fut vite infernal car la ligne de crête, en face le

« Truc »,

devint la voie de circulation d’énormes camions transportant des déchets noirs qui saupoudrèrent tant la nouvelle route qu’elle devint le négatif des chemins d’aventures du calcaire mis à nu.
Le titre principal, sur l’affiche publicitaire, incite le promeneur distrait à se tromper, à rapprocher deux mots distincts et à lire ce bloc virtuel en totale incohérence avec l’énoncé initial. Le regard a substitué au texte écrit le nom très cher d’une ville italienne, une fois de plus, et dans cette superposition, un pan de mémoire et de désir monte de l’horizon, masque la perception, et vient là, au premier plan. S’élève alors dans l’air l’ensemble des collines portant les maisons et les toits enchevêtrés, les tours et les clochers, se découpant en noir sur le ciel blanc brûlant de ce plein été, tout cela vu d’en bas, de la vallée du Tibre naissant, et projeté dans l’espace supérieur vers lequel serpente la route jusqu’à ce qu’apparaisse alors, ici, le véritable énoncé:

« LE PEROU SE… »,

rectification qui éteint le panorama au profit d’une vague musique d’Indes galantes et d’amoureux sacrifiés aux dieux imaginaires d’un Pérou d’opéra.

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