« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Enfin...

 



Enfin…

Je pense avoir trouvé, enfin, mais je me trompe peut-être, le seul livre que je vais désormais lire et relire jusqu’à la fin de ma vie. Il est bref et concis, d’une densité souvent déconcertante qui épuise la réflexion. Il se compose de plusieurs textes autonomes dont le point commun est l’ordre du temps.

 Il s’agit de trois cristallisations temporelles brillant de mille feux : l’éternisation fugitive par totalisation simultanée d’un instant de présent, l’actualisation d’un futur menacé, à l’échelle de l’infiniment petit, par un armement généralisé consubstantiel à la matière même, le retour à la destruction originaire comme création promise à la destruction. La virtuosité discrète de ces pulsations renvoie aux formes obsessionnelles qui hantent sans trêve notre sort commun.

Le présent recomposé irrigue le futur et le futur est chargé d’une actualité qu’il déforme et projette dans un passé enfoui. L’écart entre les prévisions et les réminiscences de ces jeux réversibles de l’actuel et du virtuel, se borne à un siècle - l’échelle d’une vie - et ce resserrement se double d’aléas, d’embardées, d’imprévus, d’accélérations, d’aggravations, d’incertitudes, de démesures, de déceptions… et de ravages… et de menaces réitérées : ressassement et stagnation de la vie condamnée.

La nébulosité épithétique du style et les éclaircies ravageuses de la composition semblent organiser l’existence individuelle, sociale et politique, selon des imbrications tendancielles et des expansions saisissantes, des fulgurances et des extinctions.

De tels livres-bibliothèques ont déjà existé sans doute, autrement, et peut-être celui-ci s’inscrit-il dans une tradition immémoriale, autrement, car sa radicale altérité a enfin trouvé le lecteur infini mais mortel qui devient dans sa lecture le livre lui-même et qui, superposant le livre à son monde, ouvre simultanément son monde au monde entier dont ce livre modèle l’avenir sombre et incertain aux limites de l’advenu et du possible où je vais me perdre avec lui, enfin.


Intermèdes

Simulation/La vie/Mode d'emploi

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