« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

"Il manque un morceau vert au-dessus du rêveur" épisode 3

II




Il s'agit maintenant de trois représentations énigmatiques et ludiques partant de principes voisins et que l'on trouve encore, même si c'est de plus en plus rare, dans les magazines pour enfants. Une vignette colorée raconte les malheurs d'un personnage cherchant un proche ou un objet familier: il suffit de faire tourner l'image pour le voir apparaître dans la ramure d'un arbre, les contours d'un nuage, les tuiles d'un toit… comme si tout élément de l'univers, par destination, était son indirecte représentation; l'altération légère de quelques traits le signale mais seul un déplacement permet d'en vérifier la présence. Des points numérotés plus ou moins nombreux sont la trace elliptique et indirecte d'une figure simple qui se révèle lorsqu'un trait de crayon les joint l'un à l'autre en suivant scrupuleusement leur ordre, comme si toute numérotation était créatrice. Des parcelles aux formes diverses, regroupées en amas confus, constituent une image intelligible au fur et à mesure qu'elles sont coloriées suivant le numéro qu'elles portent, numéros qui, en règle générale, n'excèdent pas quatre ou cinq. La résultante de ces trois mystères serait l'image d'un jeune homme ou d'un homme encore jeune, à l'identité incertaine, flottante ou multiple: portrait-robot ou joker, nouveau-né ou vieillard, furet, corps conducteur, passeur, fil rouge.

Textiles :

Il a complètement changé de tenue, abandonné les couleurs pour le noir, le blanc, le gris, délaissé aussi le coton, le lin, la laine au profit de matières synthétiques légères, chaudes, mais dont certaines possèdent une sorte de raideur urticante et les démangeaisons qu' elles produisent s'ajoutent à la moiteur: le manque d'aération des tissus fait facilement transpirer malgré un récent renouveau de l' ampleur rompant avec les formes très ajustée des années précédentes. La silhouette gagne en netteté; la matité du visage et la largeur des yeux noirs en reçoivent un éclat supplémentaire accentué par la coiffure: cheveux plaqués en arrière moulant l'arrondi du crâne comme un casque basculé vers la nuque et prolongé par une bordure crantée. Des traces du passé subsistent encore, en particulier un imperméable couleur bronze, confectionné dans un tissu à reflets verts et marron, et des chaussures noires et blanches dont la forme a quelque chose d'enfantin, bientôt remplacées par des chaussures d'un cuir noir et brillant imitant l’un des modèles de la collection d'hiver d'une marque prestigieuse de prêt-à-porter masculin.
Par terre, de l'entrée à la chambre, gisent des vêtements irrégulièrement groupés en tas ou isolés, soit que l'ampleur exagérée du geste ait éloigné leur point de chute de la courbe approximative du parcours de la porte au lit, soit que les deux corps eux-mêmes aient dévié, titubant de désir, déséquilibrés par des poussées tantôt réciproques, mais de forces inégales, tantôt unilatérales, soit qu'enfin, peut-être, des hésitations irraisonnées soient intervenues quant au lieu précis où se ferait l'amour: la table, le canapé, le bref couloir obscur, le pan de mur jaune près de la baie vitrée, debout dans ce cas-là. L'excitation croît devant ces marques de désirs désordonnés, impatients, impérieux, sachant toutefois doser l'immédiateté de la dénudation partielle d'un corps et le délai savoureux accordé à d'autres éléments. Chemises, t-shirts, pantalons, sous-vêtements (que l'on fait parfois glisser au pied du lit seulement, au bout de cette course heurtée et ralentie -dont les seuls obstacles sont des baisers-, que l'on ne quitte souvent que déjà couché, après avoir éprouvé leur élasticité suffisante pour que les mains tâtonnent encore, fassent semblant d'hésiter, de ne pas savoir, pour que les sexes soient dégagés par une brusque embardée du tissu contre l'une ou l'autre cuisse ou pour que cet ultime vêtement, parce qu'on l'a tiré vers les hanches d'un mouvement soudain plus violent, se plisse dans la raie du cul) gisent vides comme s'ils avaient été dégonflés et s'étaient même recroquevillés, comme s'ils avaient, dans leurs juxtapositions ou leurs chevauchements improvisés, singé les gestes de ceux qui, quelques minutes avant les portaient encore et comme si cette mue respectait enlacements, empiétements et mélanges. Dans « French cancan », un travelling suit, presque au ras du sol, la piste en pointillé des vêtements des amants et se termine sur les visages heureux et apaisés de Nini la lingère et de son petit boulanger; les amours d'Antoine Doisnel, au moment décisif, subiront un traitement analogue;
virtuels ailleurs, un autre personnage masculin, unique et double à la fois, se déshabille en courant vers la rivière où il plonge pour calmer son désespoir ou retrouver l'enfance. virtuels

Aller

"dans les rives":

les rives du Tarn où poussaient, sauvages, par touffes épaisses des saules propices à la satisfaction de curiosités sexuelles enfantines et à quelques attouchements sans plaisir.
Juste au-dessus des toits de la chapelle et du couvent et plus largement de ceux de tout le quartier et de presque toute la vieille ville, se dresse le promenoir des Réparatrices, nacelle grise dont l'armature métallique s'ancre dans les profondeurs inextricables des bâtis sous les vagues géométriques et figées des couverts de tuiles. Cette galerie de dimensions modestes peut très bien passer inaperçue ou être interprétée comme l'appendice un peu absurde et incongru de quelque maison bourgeoise, un séchoir en plein vent, une aberrante fantaisie, une folie un peu ratée, un caprice strict. Elle est composée de plusieurs modules de dimensions identiques, montés en prolongement l'un de l'autre selon une rectitude absolue; d'un portique de fer à un autre, les parois latérales sont constituées d'un ensemble de lames d'un alliage plus léger assemblées en persiennes particulièrement serrées qui doivent faire obstacle aux regards; presque à l'une des extrémités, deux éléments de la fausse jalousie sont écartés comme sous l'effet d'un agent inconnu ou d'un ensemble de causes liées aux intempéries, à l'usure, à la trop grande fragilité du matériau; il est plus vraisemblable et plus romanesque à la fois, de penser que deux mains se sont crispées sur le métal, l'ont tordu dans un spasme, afin de mieux voir le monde; des bancs semblent fixés à l'intérieur des parois ponctuellement à claire-voie et parfois, fugitivement, paraît s'envoler un voile. Cet oratoire céleste, récréation mystique plus proche de quelques mètres de l'adorable divinité, est surmonté aux deux tiers d'un dais de tôle ondulée à deux pentes. C'est uniquement le ciel qu'étaient censées voir, sans être vues, les soeurs de cet ordre cloîtré; pourtant, de là-haut, l'oeil pourrait parcourir la ville et le fleuve, les faubourgs, les collines environnantes et apercevoir, certains soirs, dans un couchant violacé, les Pyrénées.
Si la galaxie est courbe, il n'y a pas de ligne droite. Tel trajet d'un point à un autre est donc hasardeux et plein de surprises éventuelles, de dangers virtuels, de rencontres possibles. Tout effet de perspective se plie tendanciellement et seule une illusion tenace, une persistance intellectuelle ou affective peut organiser vers l'infini des lignes de fuite rectilignes. Les déplacements sont aimantés, les corps terrestres et célestes, se cherchent et tel manteau tombant des cintres avec un bruit de verre brisé annonce et préfigure les heurts multiples des deux hommes seuls dans la pénombre et la solitude, seuls mais bavards et qui ne savent pas ce qu'ils veulent ou qui ne veulent pas dire ce qu'ils veulent ou qui croyaient savoir ce qu'ils veulent mais qui, à cause d'évitements, de joutes à fleurets mouchetés, d'allusions si subtiles que leur moindre sens se perd, ont abandonné toute motivation, et à force de se soumettre à la plus fine de leurs inflexions, au fouillis de leurs circonlocutions proliférantes ne sont plus que deux bolides sans but dérivant sans fin, biaisant.
Il faudrait un recul phénoménal pour commencer à visualiser ces courbes insidieuses, à cesser enfin de croire à la droiture des comportements, à l'inéluctable irréversibilité du temps, à la traversée univoque de l'espace par la navette déréglée qui ne tardera pas à se heurter (avant d'être happée par l'obstacle), à ce pli essentiel, qui est partout. Certain voyage dans l'espace, paradoxalement, accélère le vieillissement du passager mais ces effets sont réversibles, si bien que tel homme encore jeune devenu en quelques minutes un vieillard hébété, se retrouve l'instant d'après foetus céleste roulant en ellipses dans l'infini étoilé.
virtuels
A l'une de ses extrémités, la rue principale, contrairement à ce que l'on pourrait croire, tourne et l’on ne peut donc voir le début de la manifestation qui l'emplit. Les calicots hâtivement couverts d'inscriptions maladroitement formées se tendent au vent, accélérant le rythme de la marche: ils signalent, une fois de plus, les principales revendications ou portent, simplement, le nom d'un lycée. Difficile, dans cette foule dense et enthousiaste, de rester groupés et la petite bande a été dispersée par les courants invisibles qui animent la foule, pressions involontaires ou avancées délibérées disloquant des rangs déjà incertains; on peut donc dériver insensiblement loin de ses compagnons initiaux, isolé au milieu d'inconnus enthousiastes dont il ne reste plus qu'à partager les cris. Difficile, ainsi, de retrouver, par exemple, la jeune black aux cheveux bleus, le descendant exilé d'une lignée de princes afghans ou le petit-fils d'immigrés espagnols, en terminale cette année. Seule une observation patiente, malaisée, menée depuis le trottoir, permettrait de situer les différents éléments, complètement épars maintenant, de la délégation connue; de plus, la banderole qui faciliterait le regroupement a été oubliée sur la place, la veille, en fin d’après-midi.
Une simple feuille de papier machine blanc, de format 21/29,7 a été encadrée et chaque ligne correspond à un terme de l’énumération ; les caractères, des plus simples aux plus exotiques changent chaque fois; la forme renvoie au contenu, approximativement : ainsi une typographie de type Indien désigne les films d'un réalisateur japonais… Les plus efficaces sont les caractères clivés, fissurés (verticalement et horizontalement) énonçant l'objet de la recherche: la question du raccord… Non sans une affectueuse malice, ses champs d'application sont ainsi définis:

Les Westerns, les films d'Ozu, de Fritz Lang, d'Eisenstein, « Nosferatu », « La guerre des étoiles », « Le voleur de Bagdad », les films de la Nouvelle Vague, King Kong, La rivière sans retour (lettres en tronçons de tiges de bambous) et les mélos de Douglas Sirk.
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Le caractère fortement hétérogène de l'énumération, s'explique, a-t-on dit, par la précipitation, mais cette sélection partiale, cet échantillonnage faisant appel à des souvenirs communs et à une allusive complicité, prend des allures de manifeste chaleureux.
L'une répare des toiles, l'autre participe à la restauration d'une fresque. La première est à Paris, la deuxième à Florence, dans l'église de San Miniato, parmi les hauteurs entourant la ville. La première, en radiographiant le tableau d'un peintre français très peu connu, s'aperçoit qu'un repeint partiel a masqué un motif initial et qu'un portrait de femme cache celui d'un jeune homme; la deuxième montre au visiteur fasciné (pour d'autres raisons) que le nettoyage de la fresque de Bernardo Daddi a mis à jour, sur quelques centimètres carrés, une fresque antérieure; faut-il continuer à découvrir l'ancienne peinture, et donc détruire celle qui la recouvre, ou restaurer intégralement la fresque maintenant célèbre dans le monde entier et donc ignorer pour toujours l'oeuvre sous-jacente? Tout ceci, bien entendu, pour les besoins du scénario car les deux femmes sont des personnages de film… La double peinture est allégorique: un personnage en cache et, simultanément, en révèle un autre; un personnage de femme porte en elle un fils fantasmatique qu'elle croit reconnaître en la personne de son jeune amant; de même, le visiteur américain sidéré de San Miniato croit reconnaître sa femme sous les traits de la séduisante jeune fille à la fresque. Filiation et inceste sont les figures insistantes nées de ces superpositions. Certains ne se sont pas privés de remarquer que les allégories pouvaient renvoyer à l'origine même des deux films: ils se déploieraient dans un écart vis-à-vis de films-matrices qu'ils imiteraient, transformeraient, dont ils seraient une dérive, pli sur pli. On sait la fascination mimétique qu'est censé exercer sur Madeleine le portrait de Carlotta Valdès et combien ce leurre, pour le témoin captivé, est vertigineux.
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Les deux pièces, au rez-de-chaussée, sont à peu près de mêmes dimensions et sont toutes deux carrelées de plaques de ciment coloré; dans l'une, la juxtaposition des éléments forme régulièrement d'approximatives marguerites stylisées; dans l'autre, les motifs sont plus strictement géométriques; la première servait de cuisine, la deuxième de magasin (débit de tabac, de poudre à feu…); à un mètre environ des murs de chacune des pièces, une bordure de carreaux, rectangulaires cette fois, aux teintes identiques (vert bronze, blanc et rouge foncé) mais aux motifs abstraits de frise, délimite et isole le centre des deux surfaces, cadrant dans chacune une sorte de tapis virtuel, comme un luxe intégré à la simple juxtaposition des carrés dont les joints se sont creusés. Il a dû manquer des carreaux pour le sol de ce qui est appelé ici la deuxième pièce car l'artisan a complété la dernière rangée le long du mur du fond, par des carreaux de la première pièce; peu prévoyant, il a dû ensuite compléter une rangée de la première pièce par des carreaux qui, cette fois, n'ont rien à voir, ni pour les coloris ni pour les formes, avec ceux déjà utilisés; cette zone a été cachée aux regards pendant des décennies jusqu'à ce que l'on déplace le lourd buffet de bois sombre afin de percer une porte reliant cette maison à la maison voisine (les deux maisons n'en forment plus qu'une aujourd'hui; on donnait aux maisons le nom de leur propriétaire:

maison Loubière,

maison Bernard…

on emploie encore le deuxième patronyme, le premier a disparu dans le remaniement des deux maisons); de plus, au beau milieu de la deuxième pièce, un carreau a été placé à contrario de l'ordonnancement, jusque là régulier, du motif; cette unique exception très visible ne peut s'expliquer ni par la maladresse ni par la distraction: elle semble relever, pratique connue, d'une conjuration du mauvais sort, la superstition professionnelle justifiant l'irrégularité introduite dans l'image du tapis de ciment peint.
Sur la façade lézardée on pouvait encore lire l'inscription:

"Maison du Peuple".

En fait, elle servait de salle des fêtes pour les écoles et les associations et, surtout, de salle de cinéma, (un cinéma nommé

"L'Idéal").

Avant la projection, sur l'écran légèrement bosselé et ombré par le châssis qui le maintenait, se formait une image conjecturale, première forme de cet idéal supposé. Il n'en resta plus tard que des lambeaux, encadrés par les portants obliques de papier peint, figurant des arbres sur un fond de ciel délavé par les gouttières, qui délimitaient les coulisses de la scène d'illusion où, bien des années avant, se jouaient de laborieuses saynètes, où évoluaient gauchement gymnastes et ballerines d'occasion, vêtues de robes espagnoles à volants, jaunes avec des lisérés noirs. L'enfant est debout dans l'obscurité, entre son père et sa mère, accroché au dossier d'un fauteuil derrière lequel il se cache, effrayé par ce premier film qui parle de fantôme: provoquant d'intenses cris de douleur et de désespoir, une femme jette au visage d'un homme l'acide qui le détruira.
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L'autre cinéma, le vrai, s'appelait

« Le Plazza »…

La silhouette noire du gérant versant la sciure de bois dans l'immense poêle, ce qui entraîne chaque fois, jusqu'au plafond, un envol de flammèches pointillées, avatar incandescent des grains de riz des sarbacanes et des papiers pliés des frondes, bouche régulièrement l'écran. Longtemps, au mur de

« L'Idéal »

est restée placardée l'affiche du film

"Les portes de la nuit".
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Comme une bouche d'ombre, un tunnel s'ouvre quelques centaines de mètres avant le village et s'achève au-delà des dernières maisons. Il n'a jamais été utilisé et l'ancienne voie de chemin de fer n'est pas ici devenue une route; ce raccourci inutile dont la courbe invisible hante le paysage suscite bien des frayeurs: il serait dangereux, crevassé, fissuré, lézardé, peuplé de bêtes innommées ayant survécu aux infiltrations et aux éboulements. Plus loin, en prolongement du pont, comme un nouveau vestige de cercles noirs concentriques, un bref et clair tunnel, légèrement convexe, perce l'isthme rocheux en son point le plus étroit, relie la partie haute et la partie basse du village et, vu la configuration originale de la rivière, ses deux rives gauches, avant la grande boucle délimitant la presqu'île. Il permet aussi de rejoindre le plateau que le Tarn a creusé, de remonter vers Valence ou vers Villefranche par des routes en lacets dont les à-pics s'effondrent malgré les remblais incessants et dont les tournants ménagent de vertigineux points de vue sur l’hyperbolique ellipse du méandre.
La jeune serveuse du café désert en cette après-midi de Toussaint le confirme:

" Le film a été tourné ici, avant que la mairie répare, c'était une mercerie, paraît-il… avant, c'était rustique… oui, il y avait beaucoup de figurants du village… non, pas moi ".
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C'est bien la Garonne que surplombe la vaste esplanade qui mène au

« Point de vue »:

les lointains sont bouchés par des masses nuageuses mobiles porteuses d'averses brutales mais on devine la ligne doucement accidentée des collines; la vallée est plantée de peupliers alignés en parcelles carrées ou rectangulaires irrégulièrement disposées, les champs noyés, vaporeux, les étangs, reflètent le ciel bleu par plaques, lors une trouée momentanée, la lumière change et aussi les découvertes partielles du paysage selon des bourrasques qui mettent en mouvement les bancs de brume et par fragments se révèle l'ensemble reconstitué peu à peu selon les aléas climatiques; de grandes maisons à terrasses prolongent le belvédère. Soudain il pleut très fort et l'on doit s'abriter sous les arcades désertes de la place triangulaire encadrant la halle aux grains parfaitement ronde. Des jeunes traînent sous la pluie, s'abritent le long des murs ou sous la porte monumentale. La chapelle du trésor est au sous-sol de l'église et dans la pénombre, au-delà des grilles, luisent les ostensoirs.
Dans la vitrine d'un magasin d'antiquités, au coin d'une rue étroite de la vieille ville, se dresse un grand panneau cartonné, couleur de papier kraft, partiellement peint et dont le dessin représente deux femmes debout, en symétrie par rapport à l'axe central, comme en miroir, regards convergeant vers l'infini et malgré cela presque tendrement tournées l'une vers l'autre. Coiffées de formes étranges, de style troubadour, elles sont vêtues d'amples vêtements, vastes manteaux s'ouvrant sur de vastes jupes, aux multiples plis et traînant avec cet effet de traîne, justement, qui symbolise la grandeur et le luxe. Le trait noir du dessin délimite d'irrégulières parcelles portant chacune un numéro, indication codée en vue d'une coloration ultérieure, non suivie d'effet; mais, dans ce cas, aucune énigme: un programme à accomplir, simplement, abandonné en cours d'exécution comme le montrent la frise peinte encadrant tout le haut du panneau, telle une corniche en trompe l'oeil, et les couleurs déjà déposées, presque intégralement, sur les têtes des deux personnages. Il s'agit vraisemblablement d'un carton préparatoire à la réalisation d'une tapisserie qui vaut maintenant pour lui-même, dans son inachèvement dénombré, ébauche stimulant l'oeil du spectateur immobile sous la pluie, accomplissant mentalement la suite du travail et malgré tout satisfait de la collection de chiffres semée bizarrement sur les drapés complexes.
à suivre... la semaine prochaine

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