« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

"Il manque un morceau vert au-dessus du rêveur..." épisode 16 b

Ce qui arrive maintenant est malheureusement plus familier:


"Une horrible caverne. Au fond l'entrée des enfers. D'un côté une porte effrayante, qui s'ouvre avec fracas. Choeur de Furies et de spectres, puis Orphée."

L'horrible caverne pourrait être cette arche irrégulière taillée dans la roche mais qui serait porte en même temps, puisqu'elle sert de passage pour descendre au bas du village, grotte ouverte, trouée. L'autre porte, de côté, qui s'ouvre avec fracas, c'est la herse noire donnant accès aux chutes et aux tourbillons grondants et qui peut se refermer sur le passant imprudent aux périodes des crues, à la fin de l'automne; Furies intégrées des trombes d'eau qui dévalent, spectres des présences disparues à peine marquées dans un trouble de l'air comme l'altération produite par une vapeur chaude qui s'élève et fait trembler l'espace; quant à Orphée, c'est le vent dans les peupliers ou le promeneur hésitant ressassant son malheur, identité d'emprunt, fragile et momentanée. Dérivation Le dialogue est bref, le refus réduit à sa plus simple expression: à la compassion demandée par Orphée s'opposent les

"non"

brefs et rythmés (dont la copie du livret ne précise pas l'alternance avec les appels aux Furies, aux Larves, aux ombres dédaigneuses). Etrange figuration des enfers que ces lieux tranquilles arrachés un par un à leur continuité naturelle et recomposés comme éléments du mythe personnel, montés en décors d'une scène de mots. A tout cela s’ajoute une figure de réversibilité, transposable elle aussi: Orphée, parlant de sa

barbare douleur

aux

ombres importunes

clôt le cercle de l‘analogie:

"Je porte avec moi mon enfer
Que je sens au fond de mon cœur…"

Le palais aux pièces innombrables est maintenant entièrement ouvert aux visiteurs: à chaque pièce son climat, à chaque halte sa couleur, à chaque pas une nouvelle distribution de l'espace dont les modules infinis se raccordent aux portes, aux cloisons à claire-voie, aux moucharabiehs, aux tentures inégalement écartées par les vents coulis… On attribue même à chaque pièce un genre ou un registre:

"intrigue de pouvoir",

"destin spirituel",

"épopée historique",

« romance sirupeuse"

comme si la visite devenait peu à peu la traversée de strates de fictions épuisées déposées là dans leur impalpable usure ou que l'imagination peuple ce réseau luxueux de scènes en perpétuelle présentation, tableaux théâtralisés d'une exposition permanente et répétitive qui ne s'animent que sous le regard qui parcourt la page et remonte, tourne et croyant être parvenu à l'étage ultime se voit contraint de redescendre et d'affronter de nouveau quelque déchirante séparation, un complot encore inabouti, une vengeance préparée en silence, quelque duel jusqu'à épuisement, et des plans, toujours des plans, des esquisses remaniées, des ajouts, d’impitoyables suppressions, la recherche d'analogies parfaites entre les bâtiments et leur destination, architectures idéales, feulements de tigres, agonies de lépreux dans les fondations. Virtuels.

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