Module 19
Préambule à l’obsession futile du marque-page
Préambule à l’obsession futile du marque-page
Que de distractions menacent la lecture!
L’oeil perçoit, vers la gauche, un faux-pli ténu qui écarte d’un millimètre environ un bloc de pages déjà lues, irrégularité que ne résorbe pas le lissage rapide et répété de ces feuillets tenus entre deux doigts.
Lorsque la configuration du livre se rétablit, le défaut subsiste et trouble durablement la lecture jusqu’à ce que le lecteur têtu constate enfin que le pli perturbateur n’est pas celui des premières pages mais bien une imperfection du volet intérieur de la couverture toute proche (puisqu’on n’est qu’au début du livre) et qui crée ce minuscule triangle d’ombre, cette pointe, ce caractère cunéiforme adjacent maintenant si aisément effaçable mais qui captivait le regard détourné.
D’où pouvait bien venir ce faux-pli? De la trace d’un ongle dont l’arête limée aurait sans peine tracé ce creux? De la marque du coin d’un autre livre lors du transport dans un sac trop étroit? D’un élargissement minime de l’arête alors qu’on se servait -faute de mieux- de la couverture dépliée puis repliée sur les premières pages pour les isoler et ainsi reprendre la lecture au bon endroit, le moment venu?
Si cette dernière hypothèse est la bonne, quelle ironie ! Une protection devient une gêne… et lorsqu’intervient le remède final, administré après tant de tâtonnements, la lecture s’est abîmée pour longtemps, enfin… longtemps… du moins à l’échelle de ces tourments infimes du lecteur, dont cette mésaventure prolonge la liste.
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