« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Brèves d'écran séquence 15/ANTONIONI/TECHINE/SINGER

+ Severo Sarduy, J-L Borgès
Séquence 15 :

° « Tecnicamente dolce/
Techniquement douce » est le titre du synopsis d’un film qu’Antonioni n’a jamais pu tourner, le producteur Carlo Ponti ayant brusquement décidé de ne pas le financer…

° Les films d’André Téchiné sont soumis à la catégorie de l’improbable (différente de celle de l’invraisemblable).
Cet improbable trouve sa source dans les distorsions des liens entre les situations, les personnages… sa mesure est un écart distendu. Il existe un baroque (« Barocco », justement) de ce cinéma-là qui serait un équivalant possible du « Barroco » de Severo Sarduy
[1] défini principalement comme une esthétique la « retombée de l’ellipse » en tant qu’anamorphose, étirement, « dilatation axiale » du cercle, double foyers : dédoublement des personnages, sujets biaisés, déformation des relations dans la proximité et l’éloignement…
Cela suppose une formalisation intraitable, un maniérisme rigoureux, sans lesquels la tension, la distorsion régressent de l’exigence esthétique aux contingences anecdotiques: cette régression est le principal défaut de « La Fille du RER ».
Le système décentré des cosmogonies ailleurs baroques devient ici un simple de jeu de puzzle à somme nulle : ce que gagnent certains éléments sont perdus par d’autres, et réciproquement ; comme le dit à peu près le jeune homme, à la fin : «
Je suis prêt à recommencer, comme avant..."
Il ne s’est rien passé. Pas de sujet à traiter malgré les apparences : un équilibre plat des forces qui se neutralisent. Match nul, sans engagement.
Le film ne tire même pas partie de cette construction au-dessus d’un vide ou de ce ressassement virtuel, il s'y engloutit.



° "Walkyrie", de Brian Singer :
- les films « historiques » sont l’absolu du suspenseGlobalement, pas de surprise : le spectateur en sait plus que tous les personnages et la question est dûment déplacée du « Quoi ? » au « Comment ?».
- Ceci dit, « Walkyrie » recrée aussi un suspense interne: certains personnages en savent plus que d’autres (supériorité du comploteur).
- De plus, et paradoxalement, pris par la logique du film, le spectateur
suspend volontairement son incrédulité (Borgès): il est prêt à croire que l’histoire a eu une autre fin, qu’Hitler a bien été tué ; il l’espère et croit que le pouvoir du scénario et celui du film seront plus forts que le passé irrévocable … Le spectateur «historique» se double d’un spectateur «romanesque» qui lui dispute la place.
- Mais, ici, l’identification est rendue problématique par une réticence têtue: les comploteurs sont quand même des officiers du régime dont il est difficile de partager l’idéologie et le rôle… et, quels que soient leurs doutes, leurs repentirs, leurs ambitions, leur intelligence politique ou leur volonté (tardive) de préparer l’avenir, ils le restent… Le colonel meurt en criant : «
Vive l’Allemagne sacrée…», revanche aristocratique sur l’enragement petit-bourgeois qu’a constitué le nazisme.
- Ce qui fait malgré tout la force du film c’est qu’il joue sur la proximité de l’histoire (ne serait-ce que par l’abondance des gros plans). C’est film tactique beaucoup plus qu’épique. L’épisode de l’intervention qui suit l’exercice d’alerte est le troublant brouillon de ce qui aurait pu se passer si H. était vraiment mort
[2]. On est à la fois dans le possible de l’Histoire, son côté aléatoire et dans la stupeur funèbre des coups d’Etat manqués.
[1] Severo Sarduy : « Barroco », Editions du seuil, Paris 1975 ; cf en particulier le chap.III de la partie UN : « La cosmologie baroque : Kepler ».
[2] En ce sens, on rejoint l’uchronie dont l’une des définitions, qui n’est peut-être pas la plus intéressante, est justement la réécriture de l’Histoire à partir d’autres possibilités : et si Hitler avait été tué dans l’explosion de la bombe… ?

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