« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Brèves d'écran séquence 22 (b)/ FOUCAULT/MICHAEL MANN/TARANTINO/BELLOCHIO


° «
Inglorious Basterds » (Quentin Tarantino), « Vincere » (Marco Bellochio), et, dans une moindre mesure, « Public ennemies» (Michael Mann) présentent donc une ou plusieurs séquences qui se déroulent dans une salle de cinéma, hétérotopies au carré, mises en abîme.
Elles font du personnage, par moments, un spectateur pris dans des identifications en chaîne, des processus d’inclusion/exclusion. Dans «
Vincere », par exemple :


a) Ces séquences ont une double fonction historique et une fonction de genre :
- d’une part, elles nous renseignent sur l’impact et les programmes de ce nouveau spectacle qu’était le cinéma (les séances édifiantes, à ciel ouvert, dans les hôpitaux de «
Vincere » et le futurisme technique du cinéma),
- d’autre part, elles présentent au spectateur d’aujourd’hui des documents historiques sous forme de bandes d’actualités
- Histoire(s) du cinéma : muet et parlant («
Vincere », accélération elliptique du temps du film par l’introduction de la voix de Mussolini), fictions et documentaires… Le mélodrame et la chronique

b) La salle construit un public homogène ou déchiré : elle est, par réaction, un lieu de débat, d’invectives («
Vincere ») ou d’apothéose voire d’hypostase (projet de « triomphe » nazi dans « Inglorious Basterds » grâce à un film héroïque commandé pour une autocélébration) : c’est un forum ou un parterre… son hétérogénéité s’anime, divise la communauté des spectateurs ou la transporte.

c) L’écran est un miroir, un fournisseur d’accès à des codes et à des manières («
Public ennemies ») : John Dillinger va se voir au cinéma (documentaire et fiction, de nouveau) et il sera tué à la sortie, en prolongement.

d) La salle de cinéma est un lieu hanté où rôdent des fantômes : c’est le lieu du complot (partiel et décalé dans «
Public ennemies », total dans « Inglorious Basterds »).
L’hétérotopie de la salle est complétée par celle de ses coulisses: la cabine de projection, et l’arrière de l’écran rempli de pellicules inflammables («
Inglorious Basterds »).

e) Foucault signale que l’hétérotopie se double d’une hétérochronie – 4ème principe (les hétérotopies sont «
liées à un découpage singulier du temps ») : l’hétérochronie que constitue le film prend, dans « Inglorious Basterds », la forme absolue et synthétique d’une uchronie: le régime nazi part en fumée dans l’explosion incendiaire d’un cinéma.

f) La représentation de la salle de cinéma est aussi conforme aux 5ème et 6ème principes énoncés par Foucault

[1] :
- l’hétérotopie est un système d’ouverture ou de fermeture (principe poussé à l’extrême dans «
Inglorious basterds », redoublement de l’enfermement avec la figure de l’hôpital psychiatrique de « Vincere»),
- ses fonctions sont de créer un «
espace d’illusion » ou de « compensation» ; on pourrait dire dans ces trois cas : d’illusion et de compensation (tableaux et modèles).
[1] A la fin de « Des espaces autres, Hétérotopies », « Dits et écrits », 1984.

séquence 23

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