« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Une tentative d'effacement/ Le Projet 85

Module 85
« Un, personne et cent mille» ?

C’est le titre célèbre d’un roman de Luigi Pirandello, titre qui, malgré ses mérites réels est moins subversif qu’il n’y paraît car, tout bien considéré, l’
un, fictif, est le lieu idéal où ranger et cacher de multiples aspects contradictoires d’un pseudo-moi. L’unité de façade que désigne le mot individu, chargé d’histoire, sert couramment de camouflage (que rien ne déborde ni ne grince…), d’armure d’invisibilité à un chaos prétendument intérieur.
Ainsi l’
un ne s’oppose pas autant qu’on le croit à personne ou à cent mille : il est leur couverture.
Personne, à son tour, couvre plusieurs données :
- le vide, l’absence («
Tiens ! Il n’y a personne… »)
- et la présence («
Il n’y a qu’une personne… », « Il y a plus de cent mille personnes… ») .
«
Mon nom est Personne…» est le paradoxe ancien de celui qui, bien présent, s’occulte en se désignant comme occupant cette place vide et invisible par les cyclopes aveuglés, grotte identitaire obscure dans les ténèbres mythologiques de la grotte-prison où ne résonne plus que ce nom privatif et constitutif à la fois.
Cent mille, enfin, favorise une dispersion commode pour qui se dérobe en tant que sujet… Mais, cent mille, qui semble ne désigner qu’un éparpillement discontinu en nombreux multiples, par la limite chiffrée qui est malgré tout attribuée à cette multitude, constitue un groupe, un ensemble, une unité certes hyperboliquement supérieure mais globale à sa façon et dont, de plus, les cent mille composants sont peut-être autant d’individus ou de… personnes, ce qui nous ramène au point de départ.

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