La splendeur des Tenenbaum. 2.
I. REVERSIBILITE
Il s’agit d’un jeu de bascule :
c’est comme si le film pouvait se renverser, ou se renversait, en autre chose
que lui-même selon une ambivalence, un échange subtil ente le virtuel et l’actuel. Selon quelles modalités ?
1)
l’ADAPTATION.
Le film vient d’un livre emprunté à une bibliothèque, qui lui donne son
titre ; ce livre contient un film virtuel qui s’actualise mais qui peut à
tout moment se re-virtualiser en livre, comme l’attestent les têtes de chapitres
filmées qui le ponctuent ; le « lecteur » devient spectateur, le
spectateur, lecteur.
Mais le livre est lui-même filmé, c’est le livre du film, dans le film, pour le
film, livre virtuel et même fictif, virtualité d’un roman inexistant qui génère
le film et peut l’absorber.
2)
l’ILLUSTRATION.
Le basculement se fait ici entre images et dessins : la virtualisation des images en
dessins et l’actualisation des dessins en images ; par exemple, les vignettes qui accompagnent les têtes de
chapitres du livre filmé, qui sont autant de caricatures des personnages du film,
par exemple les portraits – sans génie - de Margot faits par son frère Richie ;
autre exemple : Richie a couvert les murs de sa chambre, jusqu’à en faire
un nouveau papier peint, de dessins dont certains figurent des personnages ou
des scènes du film, et même, prémonition ou story board naïf, les profondeurs
sous-marines du film suivant : « La Vie aquatique » (« The
Life aquatic », 2004).
Mais tout
le film, en filigrane, est doublé d’une simplification
caricaturale, d’une bande dessinée ; les personnages sont fortement identifiés et même « typés » selon
des attributs vestimentaires fixes : manteau de fourrure de Margot,
survêtements rouges pour Chas et ses deux clones[1].
Pour contrebalancer ce risque de schématisation, une
compétence contradictoire s’exerce : lorsque Chas et ses fils se
rasent face à la glace de leur salle de
bains et donc face à la caméra,
l’abstraction virtuelle de la stylisation graphique est atténuée par le point
de vue frontal du spectateur, comme s’il était derrière un miroir sans tain, créant une impression
de proximité, voire de promiscuité, que l’on retrouve, plus intense, dans des
circonstances plus graves, lorsque Richie, devant sa glace aussi, quitte son bandeau
de champion de tennis pour se suicider.
3)
l’ANIMATION : la fixité peut se mettre en
mouvement. A la fin du générique, la photo filmée de la couverture du livre s’anime ; on passe d’un plan fixe
d’une image fixe, à un plan fixe d’une image animée : le plan rapproché
sur le carton d’invitation est traversé par l’une des souris dalmatiennes inventées
par Chas.
Tous les films de Wes Anderson sont hantés par l’animation,
qu’ils incluent à des degrés divers : une animation impliquée, en
quelque sorte, qui s’affiche dans le véritable
film d’animation qu’est The fantastic Mr
Fox (2009).
suite
[1]
Pour l’anecdote, l’abondance des produits dérivés caricaturant les personnages
du film, en particulier un Tenenbaum
pillow à l’effigie de Margot au téléphone en train de fumer, est un signe
supplémentaire de cette réversibilité possible.
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