« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Folie dans le théâtre baroque français. 1.

 



      LA FOLIE DANS LE THEATRE BAROQUE FRANÇAIS

 

« … Un ornement de théâtre qui ne manquait jamais de plaire et se faisait souvent admirer… »

Corneille, Examen de Mélite.

« Elle laisse échapper des lambeaux de phrases dans lesquelles, en les recousant, très peu trouveraient une signification claire. »

Lautréamont,

Les Chants de Maldoror

(Troisième chant, strophe 32, Editions de Minuit, p. 137.)

Maurice Blanchot

(Lautréamont et Sade)

 

 

                             AVANT-PROPOS

 

         La folie est essentiellement négative, c’est une absence, un silence, un vide : « La folie, c’est l’absence d’œuvre », écrit Michel Foucault[1] ; c’est tout au plus : « Le silence bavard d’une pensée qui ne pense pas ses mots »[2].

         « L’œuvre, par définition, est non-folie »[3] : écoutons Maurice Blanchot parler de Sade[4] : « … à voir s’enchaîner de semblables formules, on se dit qu’il y a une lacune dans la raison de Sade, un manque, une folie. On a le sentiment d’une pensée profondément déréglée, suspendue bizarrement sur le vide » ; l’article s’intitule malgré tout Raison de Sade, et l’apparente folie de l’œuvre est, en fait, une raison inscrite – victoire sur le silence – dont il faut retrouver l’ordre par une lecture à ras de texte. Ceci vaut autant pour les textes sur la folie, que pour ceux dont on proclame l’auteur fou.

         L’œuvre littéraire ne peut donc qu’être différente de la folie ; elle ne peut la reproduire : « Dire la folie sans l’expulser de l’objectivité, c’est la laisser se dire elle-même ; or, la folie, c’est par essence, ce qui ne se dit pas »[5] - encore moins la renfermer ; le texte est porté par le silence, mais reste différent de  lui – C’est assez dire que les textes sur la folie ne renvoient qu’à eux-mêmes et que le partage se fait immédiatement entre la folie « de fait » et la folie « littéraire ».

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         Les textes sur la folie des écrivains français  du théâtre baroque ne meuvent que méconnaître la nature et la signification de ce modèle silencieux et interdisant toute objectivité (modèle se dérobant sans cesse) ; la folie devient un élément spectaculaire, un signe du système dramatique, de ce théâtre extravagant et monstrueux dont les artifices et le fatras sont autant de caractères positifs et non la fragile reproduction d’une réalité par ailleurs dénoncée (« baroque » oblige) comme illusoire.

         Notre analyse est avant tout celle des pièces de théâtre en tant que textes (alors que le spectacle tout entier se sert d’autres systèmes de significations : signes visuels, gestes, costumes, décors, etc.) ; l’élément purement linguistique du théâtre est étudié à des niveaux différents : pièce tout entière (pargois ensemble de pièces) ou fragments significatifs.

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[1] Histoire de la folie, Préface, p. V.

[2] J. Derrida, Cogito et Histoire de la folie, L’Ecriture et la différence, p. 92.

[3]  Michel Foucault, Introduction à Rousseau juge de Jean-Jacques, Bibliothèque de Cluny, p. XXIII.

[4]  Lautréamont et Sade, Editions de Minuit, p. 20.

[5] Jacques Derrida, Cogito et Histoire de la folie, L’Ecriture et la différence, p.68.





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