FORMES
I-
Les formes de l’inéluctable :
« Ma peur est le vouloir
prophétique du sort »
(Hardy, Panthée, IV-I)
Trois tragédies d’Alexandre Hardy (La
Mort d’Alexandre, Alcméon, Marianne) commencent par le discours d’une ombre
qui résume la vie du héros et annonce sa fin prochaine ; Hérode lutte en
vain contre sa passion pour Marianne : il la fait tuer et ce crime, le
dernier d’une longue série, le rend fou et le conduit au suicide.
Ce
monologue d’ouverture où s’inscrit le destin des héros (et qui s’accompagne de
rêves et de visions prémonitoires), se transforme ou disparaît ; il
subsiste à l’état de vestige dans la Marianne de Tristan : l’ombre
n’apparaît plus au spectateur mais au personnage ; Hérode s’éveille en
sursaut d’un mauvais rêve et pressent sa folie toute proche – qui ne peut avoir
d’autre terme que la mort. Il semble que le sentiment du tragique puisse
s’affaiblir sans provoquer une modification immédiate ou radicale de la
tragédie, ce qui explique l’autonomie relative
(et la nécessaire présence) de certains artifices formels : ceux
que nous appelons les formes de l’inéluctable.
Autre
procédé de construction : le retour cyclique de la folie, qui rejoint le
thème de l’éternel retour ; le Cosroès de la tragédie de Rotrou du même
nom, a usurpé le pouvoir et tué le roi son père ; depuis ce crime, il est
victime d’accès de démence ; son fils Siroès, sentant que le trône lui
échappe, s’en empare à son tour ; lorsque la pièce se termine, il ressent
les première atteintes de délires identiques à ceux de Cosroès : cette
identité des situations laisse entrevoir une série plus vaste, illimitée,
vertigineuse.
La
folie reste le signe avant-coureur de la mort, l’expression outrée du
désespoir, et fait partie du châtiment mérité par le héros[1] ;
le complot vengeur de la femme jalouse et empoisonneuse est un thème
essentiel : Alphésibée, délaissée par Alcméon, « …donne à son mari
ce joyau qu’elle tenait en dépôt, mais empoisonné, de sorte qu’à son
attouchement Alcméon devenu maniaque, tue tous ses enfants dans l’accès de sa
fureur. » (Hardy, Argument d’Alcméon) ; la fabuleuse Médée
est le modèle rayonnant de la grande folie magique ; démence et magie sont
aussi les thèmes de l’ Hercule mourant de Rotrou : Déjanire bafouée
et s’apercevant qu’elle tue Hector au lieu de le guérir de son amour pour Iole,
sombre dans la folie, pendant qu’Hercule empoisonné, sent sa raison s’obscurcir
peu à peu.
[1]
Les grandes « figures » de la folie dans la littérature de l’époque
préclassique sont, d’après Michel Foucault (Histoire de la folie à l’âge
classique, pp. 44 et suivantes) : 1) La folie par assimilation
romanesque, 2) la folie par vaine présomption (« Ce n’est pas à un
modèle littéraire que le fou s’identifie, c’est à lui-même par une adhésion
imaginaire qui lui permet de se prêter toutes les qualités, toutes les vertus
ou puissances dont il est dépourvu »), 3) La folie du juste châtiment,
4) la folie de la passion désespérée.
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