« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Folie dans le théâtre baroque français. 2.

 



FORMES

 

I-                  Les formes de l’inéluctable :

 

« Ma peur est le vouloir prophétique du sort »

                                                            (Hardy, Panthée, IV-I)

 

                        Trois tragédies d’Alexandre Hardy (La Mort d’Alexandre, Alcméon, Marianne) commencent par le discours d’une ombre qui résume la vie du héros et annonce sa fin prochaine ; Hérode lutte en vain contre sa passion pour Marianne : il la fait tuer et ce crime, le dernier d’une longue série, le rend fou et le conduit au suicide.

                   Ce monologue d’ouverture où s’inscrit le destin des héros (et qui s’accompagne de rêves et de visions prémonitoires), se transforme ou disparaît ; il subsiste à l’état de vestige dans la Marianne de Tristan : l’ombre n’apparaît plus au spectateur mais au personnage ; Hérode s’éveille en sursaut d’un mauvais rêve et pressent sa folie toute proche – qui ne peut avoir d’autre terme que la mort. Il semble que le sentiment du tragique puisse s’affaiblir sans provoquer une modification immédiate ou radicale de la tragédie, ce qui explique l’autonomie relative  (et la nécessaire présence) de certains artifices formels : ceux que nous appelons les formes de l’inéluctable.

                   Autre procédé de construction : le retour cyclique de la folie, qui rejoint le thème de l’éternel retour ; le Cosroès de la tragédie de Rotrou du même nom, a usurpé le pouvoir et tué le roi son père ; depuis ce crime, il est victime d’accès de démence ; son fils Siroès, sentant que le trône lui échappe, s’en empare à son tour ; lorsque la pièce se termine, il ressent les première atteintes de délires identiques à ceux de Cosroès : cette identité des situations laisse entrevoir une série plus vaste, illimitée, vertigineuse.

                   La folie reste le signe avant-coureur de la mort, l’expression outrée du désespoir, et fait partie du châtiment mérité par le héros[1] ; le complot vengeur de la femme jalouse et empoisonneuse est un thème essentiel : Alphésibée, délaissée par Alcméon, « …donne à son mari ce joyau qu’elle tenait en dépôt, mais empoisonné, de sorte qu’à son attouchement Alcméon devenu maniaque, tue tous ses enfants dans l’accès de sa fureur. » (Hardy, Argument d’Alcméon) ; la fabuleuse Médée est le modèle rayonnant de la grande folie magique ; démence et magie sont aussi les thèmes de l’ Hercule mourant de Rotrou : Déjanire bafouée et s’apercevant qu’elle tue Hector au lieu de le guérir de son amour pour Iole, sombre dans la folie, pendant qu’Hercule empoisonné, sent sa raison s’obscurcir peu à peu.



[1] Les grandes « figures » de la folie dans la littérature de l’époque préclassique sont, d’après Michel Foucault (Histoire de la folie à l’âge classique, pp. 44 et suivantes) : 1) La folie par assimilation romanesque, 2) la folie par vaine présomption (« Ce n’est pas à un modèle littéraire que le fou s’identifie, c’est à lui-même par une adhésion imaginaire qui lui permet de se prêter toutes les qualités, toutes les vertus ou puissances dont il est dépourvu »), 3) La folie du juste châtiment, 4) la folie de la passion désespérée.


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