« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Brèves d'écran séquence 16/ DOUGLAS SIRK

+ John Gavin, Juanita Moore, Taraji P. Henson, David Fincher, W.J.T. Mitchell.

Séquence 16 :
° Revu « Imitation of life/Mirage de la vie » (1959), de douglas Sirk :
Le film dispose et propose son autoreprésentation, c’est-à-dire qu’il dissémine des « emblèmes » qui, à la fois, sont partie intégrante du film et le désignent en tant que tel. Loin d’en être les suppléments formels, ils constituent sa matière même.


Ainsi, il s’agit d’une attraction/répulsion :

- entre des couleurs socialement discriminées: être noir, être blanc, être blond(e) (plus ou moins platinée), être brun(e)… John Gavin n’a jamais été autant métissé… la fin du film laisse entendre qu’il pourra être un père vraisemblable pour Sarah-Jane, la brune fausse blanche,
- entre des valeurs : le clair, l’obscur, les lumières, les ténèbres liés à la distribution des rôles et des places (la scène, les coulisses, le spectacle public, la sphère privée…).

Il s’agit aussi de représentation, d’interprétation, de réflexivité (et d’auto-réflexivité, donc) :
Le titre originel est plus fort que son équivalent français : imitation de la vie … Etre « en représentation » dans sa vie quotidienne, être actrice de théâtre et de cinéma, être chanteuse dans un cabaret, danseuse dans un music-hall, photographe ou modèle de publicité, fidèle dans un spectacle religieux avec gospel ; même l’enterrement final est réglé comme un show (les quatre chevaux blancs…) comme le clou du spectacle.
Les multiples plans en et au miroir, indices de ces dédoublements d’images narcissiques ou aliénées (racisme ambiant), constituent autant de « metapictures »

[1].
C’est assez dire que le film tout entier, bien entendu, est une imitation de la vie…Les décors et la mise en scène sont les corrélatifs objectifs des tribulations des personnages : en particulier la ligne anguleuse brisée de la rampe blanche de l’escalier intérieur.
Le dernier plan qui réunit dans la voiture noire la famille finalement recomposée, les deux blondes, le brun, la brune-noire est aussi une imitation de la vie : ce que l’on voit à travers les vitres est donné par une transparence qui est l’ultime empreinte du faux, d’une pseudo-vérité obtenue par un trucage mettant en perspective aveugle des espaces hétérogènes. C’est le sujet du film…




° Concentré : « Imitation of life » est la parfaite projection auto-référentielle, en symétrie contrariée, d’une structure mentale et sociale complexe fondée sur des antagonismes de couleurs.


° La mère noire de « Imitation of life/Mirage de la vie », de Douglas Sirk (interprétée par Juanita Moore) est un modèle possible de la mère noire (interprétée par Taraji P. Henson) de « L’étrange histoire de Benjamin Button », de David Fincher.




[1] « Parfois se présente une picture dans laquelle apparaît l’image d’une autre picture, sorte d’ « emboîtement » d’une image au sein d’une autre… », « Il existe par ailleurs une acception selon laquelle toute picture peut devenir une metapicture, à chaque fois qu’elle est employée pour révéler la nature des pictures. », W.J.T Mitchell : « Iconologie – Image, texte, idéologie », University of Chicago 1986, Les prairies ordinaires, Paris 2009, pour la traduction française ; pp.23, 24.
L’emblème cinématographique auto-représentatif pourrait être une variante « muette », indirecte, d’iconologie, passant souvent par la constitution de metapictures.





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