« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Famille Tenenbaum. 4.



La Splendeur des Tenenbaum. 4.

III

EXPANSION

 

            Cet univers filmique réversible et sériel est aussi un univers en expansion. La représentation de la  famille, comme agencement de pièces rapportées culmine dans la mise en scène de « scènes » de famille, comme on dit « scènes de ménage », une mise en « scènes », scènes qui font exister la famille et qui,  simultanément, la détruisent … et la détruisent en la faisant exister.

Des nœuds se forment : la vignette du chapitre intitulé « Maddox Hill Cemetery » porte l’inscription « Family plot »[1] : plot signifiant intrigue, en particulier pour une comédie. Les présentations paradigmatiques se combinent en tableaux de groupes qui se font et se défont  à vue.

La « scène » a besoin de temps et d’espace : la durée des plans s’allonge, des éléments souvent  isolés, segmentés, se combinent en véritables séquences où s’assouplissent, par enchaînement direct cette fois, des mouvements orthogonaux  d’abord séparés (travelling verticaux sur les étages de la maison puis horizontaux au niveau de l’entrée et de la rue, diagonales aussi…) maintenant pris dans une fluidité plus grande des raccords et une motivation plus grande des champs-contrechamps parfois abrupts.

Prenons deux exemples qui illustrent le bilan tiré par père : « Disputes, cris et embrouilles, j’adore ce putain d’équipage… » :

-         Les retrouvailles d’Etheline et de Royal où s’enchaînent des travellings latéraux avec sortie de champ, attente, va-et-vient  et affrontement…

-         Le repas familial et la montée de la tension à propos du retour à la maison du père « mourant » : scène de repas familial comme archétype du conflit ; terribles repas de famille !

Ce déploiement  plus classique atteint son apogée dans la longue séquence de l’ « accident » d’Eli ; le burlesque, d’abord : la poursuite dans le dédale des couloirs et des étages, alternance qui converge en  bagarre ; puis l’apaisement et la virtuosité harmonieuse du long plan-séquence qui, parcourant tout l’espace devant la maison, allant de groupe en groupe et reliant en réseau ouvert, sur les camions des pompiers et autour d’eux, les personnages disséminés mais qui se parlent et se retrouvent, constitue un film dans le film, une synthèse dans l’éparpillement.

Mais une autre forme de mise en scène, intégrative et synthétique elle aussi, produit un autre type d’affect, par condensation.

suite
 


[1] C’est le titre du dernier film d’Alfred Hitchcock, Family plot, 1976 (en français, Complot de famille), dans lequel une scène importante se passe au cimetière.



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