La Splendeur des Tenenbaum. 5.
IV
CONDENSATION
CONDENSATION
Un univers filmique réversible,
sériel et expansif produit des effets de condensation : on renoue, mais pour
s’approcher du centre caché : « family plot »…
Par « condensation » il
faut entendre, ici, à la fois un emboîtement
des espaces (au sens d’inclusion d’un espace dans un autre et d’un
enfermement des personnages) et une simultanéité
des temps.
1) Les cagibis : la penderie de
Margot, dans lequel, entre ses robes, surgit Eli dénudé, le placard de l’entassement
des boîtes de jeux où la tête de sanglier (avatar de l’image du père) a été
mise au rebut : lieu secret des règlements de comptes et des confidences,
mais aussi lieu d’une synthèse temporelle, d’un dépôt des âges.
2) La tente de camping de Richie,
installée dans sa chambre et qui brouille l’affectation de chacun des enfants à
un étage déterminé puisqu’elle les réunit presque clandestinement (d’abord les
deux frères, puis le frère et la sœur) ; elle devient un lieu de coprésence
et de synthèse temporelle parce qu’elle est aussi un dépôt d’objets, en
particulier les disques de l’enfance et le duvet emporté lors de la fugue
enfantine au muséum. Richie le survivant, qui s’est « libéré » de
l’hôpital après sa tentative de suicide y retrouve Margot…
La tente de camping devient le lieu de l’aveu, de la
révélation de ce que l’on a toujours su, de la tentation de l’inceste qui a
toujours été là, entre le-frère-et-la-sœur-qui-ne-sont-pas-frère-et-sœur.
L’histoire d’amour entre Margot et Eli, à la fois un voisin et un « Tenenbaum » a été un inceste par délégation, et l’aveu de Richie permet peut-être de résoudre
l’énigme contenue dans la phrase d’Eli: « … maintenant ça a un autre sens ».
Les détours du labyrinthe, que le profane ne peut franchir, abritent, on le sait, une monstruosité. Il
n’est donc pas étonnant que la pièce centrale du labyrinthe des séries soit le lieu de l’amour secret, la tente des
enfants-adultes, des enfants qui échangent enfin de longs baisers d’adultes …
Espace réduit, régressif, transgressif et finalement déserté : « Il faudra rester amoureux en secret
et s’en tenir à ça », dit Margot à Richie, en sortant.
C’est comme si cet espace restreint et cumulatif devenait la
structure matérielle de la vie psychique – illusoire – des personnages, comme si le réalisateur
essayait de figurer, autrement que par la succession des plans et des
séquences, le fait que, psychiquement, tout se conserve, que tout est là, inaccessible,
parfois.
3) Si l’on considère l’ensemble des
films de Wes Anderson, on peut dire que sa recherche la plus originale vise l’ubiquité du temps : parmi les
moments et les périodes qui datent le film (ici, par exemple : 22 ans plus
tard…) se constitue un temps interne
au film, qui n’est plus tributaire de sa durée ou de celle de sa fiction, ni de
l’âge donné aux personnages : c’est un télescopages des âges et des
moments, pour le personnage lui-même mais aussi dans son rapport aux autres ;
c’est un développement inégal et combiné
des âges et des moments : adulte-enfant, enfant-adulte, ni tout à fait
adulte ni tout à fait enfant ; deux garçons se rasent alors qu’il n’ont
pas de barbe ; dans Moonrise Kingdom
(2012), un garçon pré-pubère fume la pipe et épouse une adolescente à peine
plus âgée que lui ; dans Rushmore
(1998), la relation qu’un adolescent envisage avec l’une de ses professeurs change sans
arrêt de statut : amie, petite amie, mère, épouse… et il joue tout à tour l’élève, l’ami, l’amant, le fils, le mari, selon un spectre
ludique mais potentiellement dangereux de virtualités entremêlées …
Ce traitement du temps relève d’une indétermination flottante,
d’une condensation paradoxale des temporalités, résultat d’un pullulement de
processus élémentaires réversibles, sériels, en expansion, parfois.
suite et fin
début
brèves d'écran
la désaffection
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brèves d'écran
la désaffection
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