« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Folie dans le théâtre baroque français. 5 .

 



III – La folie épisodique :


Si, en apparence, les lois incertaines de la tragi-comédie donnent à l’auteur toute liberté, l’imagination trouve spontanément ses limites et les péripéties de la tragi-comédie se regroupent confusément atour de quelques situations exemplaires ; une question posée dans L’heureuse Constance, de Rotrou, les résume presque toutes :


« Comment pourra l’amour finir heureusement

Ce que nous commençons par un déguisement ? » (I – 1).

Dans le Saint-Genest Comédien et Martyr[1], Genest dit :

« D’une feinte en mourant faire une vérité »[2] .


La mort termine la tragédie alors que le fou de la tragi-comédie revient à la raison, en même temps que la « feinte » est dissipée[3].

Cloridan (Rotrou, L’Hypocondriaque), reçoit la fausse nouvelle de la mort de Perside, qu’il aime ; après un accès de fureur et de désespoir, il s’évanouit ; lorsqu’il revient à lui, il est devenu hypocondriaque ; il croit être mort et errer aux enfers à la recherche de Perside ; il prend Cléonice (qui, par jalousie, avait rédigé la lettre lui annonçant la mort de Perside) pour Perside ; il est victime de visions qu’une « feinte » a provoquées, et une nouvelle « feinte » assure sa guérison.

Au début de l’Acte V, Cloridan est couché dans un cercueil (« Il faut, au milieu du théâtre, une chambre funèbre et trois tombeaux, avec quantité de lumières ardentes, et que ladite chambre s’ouvre et se ferme quand il en est besoin[4] ») ; la révélation de la tromperie de Cléonice ne suffit pas à la faire sortir de son erreur ; une mise en scène assez complexe est nécessaire : on installe des pseudo-morts dans des cercueils, des musiciens jouent, les morts ressuscitent ; cela ne suffit pas à faire croire à Cloridan qu’il peut revenir à la vie ; un des musiciens tire alors sur lui un coup de pistolet chargé à blanc et il sort de son erreur :


« ma raison voit enfin la fourbe découverte…

… et vous me guérissez par la peur de mourir ». (V, 6).


L’illusion douloureuse est dissipée, la « crise », par rapport à laquelle la pièce s’organise, est terminée.



[1] De Rotrou également.

[2] Dernier vers de la pièce

[3] Michel Foucault (Histoire de la folie, p. 48) montre comment :

-          La folie occupe dans la tragi-comédie une place médiane ; elle forme plutôt le nœud que le dénouement, plutôt la périphérie que l’imminence dernière.

-          Sa fonction dramatique ne subsiste que dans la mesure où il s’agit d’un faux frame.

-          La folie est le grand Trompe-l’œil dans les structures tragi-comiques de la littérature pré-classique.

[4] Laurent Mahelot, Mémoire…

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La Splendeur des Amberson

Période incendiée

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