« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Brèves d'écran séquence 1 Gus Van Sant/Welles/Godard/Fellini/Rota/Hitchcock/Lynch/Coppola

* A l’évidence, l’un des modèles de Gus Van Sant pour « Mala noche» est Orson Welles, en particulier celui de « The lady from shanghaï » surtout de « Touch of Evil » (Le lien serait le Mexique ?). Qu’est-ce à dire ? Un montage souvent court avec des variations incessantes du point de vue et qui ne respecte pas les règles tacites mais efficaces des raccords (de regard, de mouvement…), de très gros plans (…de visages, de morceaux de visages, d’objets) sur profondeur de champ visible ou supposée (flous…), des plongées ou contre-plongées sur des déambulations de personnages parfois hagards (procédés à l’œuvre dans les scènes shakespeariennes de « My own private Idaho » …). Des trajectoires complexes et flottantes comme si les personnages débordaient le film ou le film les personnages, tour à tour.

* A l’évidence, l’un des autres modèles de Gus Van Sant pour « Mala noche » est le Godard de « A bout de souffle ».

* La bande-son de « Paranoid Park » est aussi composée que les bandes-sons des films de Jean-Luc Godard, avec autant de conjonctions et de disjonctions par rapport à la bande-image et autant de prise d’autonomie de l’une ou de l’autre dans leurs écarts et leurs convergences. Et puis au moins on entend la musique.

* Fellini entre dans « Paranoid Park » par effraction : celle de la musique de Nino Rota (« Giuglietta degli spiriti », « Amarcord ») qui rend silencieux le plan de la jeune fille en colère contre son premier amant.

* Janet Leight passe du motel de « Touch of Evil », d’Orson Welles, à celui de « Psycho », d’Alfred Hitchcock. Anthony Perkins passe du motel de « Psycho », d’Alfred Hitchcock aux espaces paradoxaux du film d’Orson Welles « Le Procès ».

* David Lynch a dû voir « le Procès » d’Orson Welles, en particulier la première séquence chez l’avocat dont la tête est effacée par un nuage de fumée puis cachée par un linge presque aussi fumant que le cigare (on pense au voile qui suffoque Desdémone à la fin d’ « Othello » ), linge retiré ensuite mais dont la vapeur se transmet au visage et aux cheveux.

* Dans « The Lady from shanghaï » d’Orson Welles et dans « The Birds » d’Alfred Hitchcock, qui se passent tous deux en partie à San Francisco, on trouve la même réplique : « Savez-vous piloter un hors-bord ? »

* Un cinéma des « univers flous » : cela concerne des films récents et par ailleurs très différents : « Inland empire », de David Lynch, « Paranoid park », de Gus van Sant, « Youth without youth » (« l’Homme sans âge ») de Francis Ford Coppola et la liste n’est pas close…

* Univers flous ? C’est une formule employée par certains astrophysiciens dont Coppola propose (indirectement) une reformulation adaptée à son film et à la nouvelle dont il est tiré : « Dans le récit d’Eliade, la rose est liée à l’histoire du double. Elle est le symbole de la réalité qui est en dessous de ce qu’on croit possible. On est ensemble, à discuter, à l’intérieur, il y a des arbres dehors, mais on n’a pas l’ensemble du tableau. Il y a plus à voir. On ne sait pas quoi, parce qu’on n’a pas les yeux et les oreilles pour le percevoir. I y a peut-être d’autres êtres, on ne sait pas. La rose est la confirmation que cette autre réalité existe. » (Cahiers du cinéma 628, p.16)

* Univers flous ? Redistribution de procédés immémoriaux du cinéma, réactivation de l’expérimental : accélérés, ralentis, surimpressions, images inversées, négatifs, alternances et parallélismes, flous, noirs, voix off flottantes… mais tout cela dans une incertitude généralisée des références : flottement de la ligne de présent, espaces et temps paradoxaux, indistinction de l’objectif et du subjectif, associations non-motivées, réversibilité des situations, pertes ou multiplications des identités, trajets hasardeux qui bifurquent, lignes brisées, cercles, spirales, pressentiment (mais pressentiment seulement) de l’ensemble du tableau…
Mais, déjà, Orson Welles…

* Welles déjà… y compris dans « Macbeth », Macbeth qui croit que sa ligne de destin doit interférer avec sa ligne de vie, qu’il doit agir pour que sa ligne de conduite accomplisse, actualise, sa ligne de destin : il devient fou parce qu’il ne maîtrise pas cette pluralité du monde, marque des univers flous, il meurt de cette confusion des lignes, de cette volonté forcenée de clarifier le flou ; cet effort de netteté qui consiste à rabattre un niveau sur l’autre, le destin sur la vie, est tellement contradictoire avec l’univers esthétique de Welles que cela en devient tragique. Les délires, les hallucinations, les prodiges agissent par compensation et ces brouillages sont les formes inférieures du grand échelonnement de la pluralité des niveaux quand ils jouent librement, sans paranoïa.
* « Le Parrain » : ce sont les plans, les scènes, qui comptent et non le formalisme des raccords ; d’où l’aspect dispersif de la construction en fait structurée par l’alternance : le père/le fils/le père/le fils… C’est la forme du sujet : la filiation, le passage du pouvoir et l’actualisation des marchés et des méthodes. Ceci dit, les procédés de la séquence du baptême seront repris, amplifiés, systématisés dans la dernière heure de « Le Parrain 3 », beaucoup plus cérébral, à l’opéra de Palerme : une unité de lieu et d’action… et les contrepoints d’un montage en parallèle, une série de motifs repris, inversés, d’échos visuels et sonores, les chocs de la simultanéité.

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