III
L'écharpe en lainage d'un rouge cramoisi est en maille industrielle, côtes 1/1, et retient dans son duvet des cheveux ondulés roux, blancs vers la racine, les cheveux de la morte. Certains sont juste posés en surface, se détachent facilement, tombent après un léger balayage de la main mais d'autres, étrangement, semblent avoir été pris dans le maillage et résistent à l'enlèvement. Ils sont plus nombreux qu'il n'y paraît, se multiplient selon la lumière, sa qualité et sa variation, la zone éclairée, les plis défaits et recomposés. Essentiels et décoratifs, à la fois forme et substance, ils révèlent un double motif dans la matière, motif que l’on peut suivre comme un fil, résistant et léger.Sur le fond mobile des images et des sons, l'énoncé reste bloqué: nouvelle panne de l'inscription des sous-titres français sur l'écran. Ainsi la réplique:
"Mais vous, vous savez"
se prolonge pendant toute la séquence du métro: les deux hommes sont debout de part et d'autre de la porte vitrée et, le fracas du train couvrant en partie leur dialogue (du moins pour leurs compagnons de voyage), l'étrange contrat se négocie: il s'agit d'aller tuer un inconnu, à Paris, contre une forte somme d'argent assurant à la femme et à l'enfant de l'exécutant un avenir pour lui menacé par une maladie mortelle qui - c'est du moins ce que dit le commanditaire - arrive à son terme. Trois motifs se superposent: l'illusion du défilé rapide des stations et des tunnels, scandé par l'alternance des arrêts et des redémarrages, puis, sur ces rythmes fugaces, l'immobilité paradoxale de l' image des deux hommes que, par inversion de la dynamique réelle, l'angle de vue latéral de la caméra embarquée dans la même rame maintient sur le panorama changeant de la traversée du réseau, enfin la fixité anormale, dilatation dans le temps et contraction dans l'espace, du sous-titre arrêté aux avant-postes, modeste couche d'éternité menacée. Virtuels
L'écharpe en lainage d'un rouge cramoisi est en maille industrielle, côtes 1/1, et retient dans son duvet des cheveux ondulés roux, blancs vers la racine, les cheveux de la morte. Certains sont juste posés en surface, se détachent facilement, tombent après un léger balayage de la main mais d'autres, étrangement, semblent avoir été pris dans le maillage et résistent à l'enlèvement. Ils sont plus nombreux qu'il n'y paraît, se multiplient selon la lumière, sa qualité et sa variation, la zone éclairée, les plis défaits et recomposés. Essentiels et décoratifs, à la fois forme et substance, ils révèlent un double motif dans la matière, motif que l’on peut suivre comme un fil, résistant et léger.Sur le fond mobile des images et des sons, l'énoncé reste bloqué: nouvelle panne de l'inscription des sous-titres français sur l'écran. Ainsi la réplique:
"Mais vous, vous savez"
se prolonge pendant toute la séquence du métro: les deux hommes sont debout de part et d'autre de la porte vitrée et, le fracas du train couvrant en partie leur dialogue (du moins pour leurs compagnons de voyage), l'étrange contrat se négocie: il s'agit d'aller tuer un inconnu, à Paris, contre une forte somme d'argent assurant à la femme et à l'enfant de l'exécutant un avenir pour lui menacé par une maladie mortelle qui - c'est du moins ce que dit le commanditaire - arrive à son terme. Trois motifs se superposent: l'illusion du défilé rapide des stations et des tunnels, scandé par l'alternance des arrêts et des redémarrages, puis, sur ces rythmes fugaces, l'immobilité paradoxale de l' image des deux hommes que, par inversion de la dynamique réelle, l'angle de vue latéral de la caméra embarquée dans la même rame maintient sur le panorama changeant de la traversée du réseau, enfin la fixité anormale, dilatation dans le temps et contraction dans l'espace, du sous-titre arrêté aux avant-postes, modeste couche d'éternité menacée. Virtuels
DérivationLe nom surgit soudain, inattendu, après la lecture de quelques pages qui semblent n'avoir rien de commun avec lui, rien qui puisse l'appeler, et il apparaît en majuscules couvrant en surplomb immobile la typographie moindre du livre ouvert:
BERTIN.
Ce nom ramène à l'enfance: l'institutrice de la maternelle dont le mari, conducteur de train à la mine fut décapité par un portique alors qu'il avait penché la tête hors de la machine pour observer la voie. Mais rien, dans le texte lu, ne peut aiguiller subrepticement l'activité psychique seconde vers de telles références; sauf, à la limite, dans le récit du rêve, les mots
"ravines",
"escarpements glaiseux",
"espaces pierreux",
"éboulis"
qui, traités autrement, reconstitueraient l'espace appelé
PARC,
amphithéâtre mal dessiné dont les travées creusées à la pelle mécanique descendent vers les voies. Mais non, cela ne suffit pas et, à la relecture, ne déclenche rien; le rappel reste forcé, extérieur et c'est décourageant. Puis, alors que tout semblait perdu, les dernières lignes du passage reproduisent le surgissement premier, le mécanisme opère, doublé maintenant de sa compréhension: c'est le mot
"héron"
qui est l'embrayeur du nom propre et celle qui le portait lisait aux enfants étonnés la fable de la Fontaine et son célèbre vers sur le bec et le cou de l'animal inconnu. Ainsi s'étagent les énoncés, l'un couvrant l'autre, l'un visible autant que le carton d'un générique sur un paysage de mots hétérogène, l'autre discret, dans un tel retrait qu'il a bien failli ne jamais revenir.
La rue, assez étroite comme toutes celles du centre de la ville, descend et tourne un peu et le promeneur distrait risque de ne pas voir, au-dessus d'une simple porte, l'enseigne en français qui va pourtant s'étendre et croître jusqu'à couvrir la cité entière et ses places, ses palais, ses vestiges romains (arcs, arènes, amphithéâtres…) dans une expansion portant ombrage à l’universelle célébrité de ces monuments:
CAFE RENOIR.
Le seuil n'a pas été franchi, aucune explication n'a été demandée, on ne sait rien des tables, des fauteuils, des éventuelles reproductions accrochées au mur (si tant est qu'il s'agisse, cette fois, du peintre): seul l'intérêt immédiat pour le nom, renforcé par la surprise et même l'incrédulité a déclenché cette exagération.
Retour du motif de la chartreuse, la célèbre chartreuse de Pavie ou de Parme
(La Certosa di P.) :
à quelques kilomètres de Parme se trouve en effet la chartreuse ou plutôt ce qu'il en reste: y avait-il encore des reclus au dix-neuvième siècle? C'est aujourd'hui une maison de redressement pour mineurs délinquants: on doit laisser ses papiers au guichet où des policiers assurent l'accueil: c'est l'un d'eux qui vous guide à travers le jardin jusqu'à l'église puis un autre qui vous surveille pendant sa visite et celle du cloître: côté arcades, les portes des cellules ont été murées et l'on accède par l'extérieur aux appartements des personnels logés qui ont remplacé les cellules des chartreux. A la fin de la célèbre
nouvelle,
car c'est ainsi que l'auteur lui-même définit son oeuvre dans
"l'avertissement"
qui la précède, Stendhal met en italiques la
"Chartreuse de Parme",
où Fabrice se retire,
"située dans les bois voisins du Pô, à deux lieues de Sacca...».
C'est souvent le cas dans le livre pour les noms de lieux mais ici, le nom du lieu est aussi le titre du livre, tardivement justifié. Etrange court-circuit et double ambiguïté: grâce au titre, le héros semble trouver refuge dans le livre lui-même, pour l'éternité, l'éternité du livre s'entend et non celle du personnage soumis au temps et à la mort car Fabrice
"…ne passa qu'une année dans sa chartreuse".
Les couleurs de la pièce ont changé, additionnant deux motifs : le rideau cramoisi et la chambre jaune. C'est en plein jour et vu de l'intérieur que le rideau, l'été, s'illumine, la lumière filtrée du soleil faisant virer la teinte maïs des murs, clarté renforcée par les à-plats vitrés blancs de l'entrée. La chambre close
est vide maintenant, déformant deux histoires:
la blessure sans cause extérieure
BERTIN.
Ce nom ramène à l'enfance: l'institutrice de la maternelle dont le mari, conducteur de train à la mine fut décapité par un portique alors qu'il avait penché la tête hors de la machine pour observer la voie. Mais rien, dans le texte lu, ne peut aiguiller subrepticement l'activité psychique seconde vers de telles références; sauf, à la limite, dans le récit du rêve, les mots
"ravines",
"escarpements glaiseux",
"espaces pierreux",
"éboulis"
qui, traités autrement, reconstitueraient l'espace appelé
PARC,
amphithéâtre mal dessiné dont les travées creusées à la pelle mécanique descendent vers les voies. Mais non, cela ne suffit pas et, à la relecture, ne déclenche rien; le rappel reste forcé, extérieur et c'est décourageant. Puis, alors que tout semblait perdu, les dernières lignes du passage reproduisent le surgissement premier, le mécanisme opère, doublé maintenant de sa compréhension: c'est le mot
"héron"
qui est l'embrayeur du nom propre et celle qui le portait lisait aux enfants étonnés la fable de la Fontaine et son célèbre vers sur le bec et le cou de l'animal inconnu. Ainsi s'étagent les énoncés, l'un couvrant l'autre, l'un visible autant que le carton d'un générique sur un paysage de mots hétérogène, l'autre discret, dans un tel retrait qu'il a bien failli ne jamais revenir.
La rue, assez étroite comme toutes celles du centre de la ville, descend et tourne un peu et le promeneur distrait risque de ne pas voir, au-dessus d'une simple porte, l'enseigne en français qui va pourtant s'étendre et croître jusqu'à couvrir la cité entière et ses places, ses palais, ses vestiges romains (arcs, arènes, amphithéâtres…) dans une expansion portant ombrage à l’universelle célébrité de ces monuments:
CAFE RENOIR.
Le seuil n'a pas été franchi, aucune explication n'a été demandée, on ne sait rien des tables, des fauteuils, des éventuelles reproductions accrochées au mur (si tant est qu'il s'agisse, cette fois, du peintre): seul l'intérêt immédiat pour le nom, renforcé par la surprise et même l'incrédulité a déclenché cette exagération.
Retour du motif de la chartreuse, la célèbre chartreuse de Pavie ou de Parme
(La Certosa di P.) :
à quelques kilomètres de Parme se trouve en effet la chartreuse ou plutôt ce qu'il en reste: y avait-il encore des reclus au dix-neuvième siècle? C'est aujourd'hui une maison de redressement pour mineurs délinquants: on doit laisser ses papiers au guichet où des policiers assurent l'accueil: c'est l'un d'eux qui vous guide à travers le jardin jusqu'à l'église puis un autre qui vous surveille pendant sa visite et celle du cloître: côté arcades, les portes des cellules ont été murées et l'on accède par l'extérieur aux appartements des personnels logés qui ont remplacé les cellules des chartreux. A la fin de la célèbre
nouvelle,
car c'est ainsi que l'auteur lui-même définit son oeuvre dans
"l'avertissement"
qui la précède, Stendhal met en italiques la
"Chartreuse de Parme",
où Fabrice se retire,
"située dans les bois voisins du Pô, à deux lieues de Sacca...».
C'est souvent le cas dans le livre pour les noms de lieux mais ici, le nom du lieu est aussi le titre du livre, tardivement justifié. Etrange court-circuit et double ambiguïté: grâce au titre, le héros semble trouver refuge dans le livre lui-même, pour l'éternité, l'éternité du livre s'entend et non celle du personnage soumis au temps et à la mort car Fabrice
"…ne passa qu'une année dans sa chartreuse".
Les couleurs de la pièce ont changé, additionnant deux motifs : le rideau cramoisi et la chambre jaune. C'est en plein jour et vu de l'intérieur que le rideau, l'été, s'illumine, la lumière filtrée du soleil faisant virer la teinte maïs des murs, clarté renforcée par les à-plats vitrés blancs de l'entrée. La chambre close
est vide maintenant, déformant deux histoires:
la blessure sans cause extérieure
et
la mort subite.
Ici, pas de blessure infligée à soi-même mais la mort subie, dont le long cheminement interne dura plusieurs années. Ailleurs, A. savait qu'elle était menacée et l'issue fatale n'a surpris que le jeune ignorant soumis aux caprices inflexibles de ses audaces sexuelles et plus tard captivé par le rideau d’un rouge infernal. Ici, nul mystère et l'énigme est depuis longtemps résolue, nulle inconséquence de conduite, nul scandale à révéler, et la retraite dans la chambre maintenant jaune est celle du deuil qui cherche l'écart des espaces clos. L'ordre des meubles et des objets s'est modifié comme sous l'effet d'un rêve: glissements et synthèses, rupture et continuité, en fusion lente qui dérive.
Elle a repris pour l'occasion son chapeau plat aux larges bords, chapeau noir de demi-deuil la protégeant du soleil alors que l'autre, rond et prolongé de deux pans de crêpe n'était qu'un signal, et dans les chutes bleues de la sous-jupe de la robe de mariée de sa fille cadette elle a fait coudre par sa modiste une bordure qui égaie la coiffe assez harmonieusement pour que l'ajout de cette pièce ne trahisse pas un souci d'économie. Deux motifs se rejoignent ici: la juxtaposition de couleurs annonçant la fin si longtemps différée du deuil, la bande de tissu bleu exhibant partiellement ce qui, dans la confection de la robe de mariée elle-même, est caché par trois épaisseurs de tulle et la guipure extérieure blanche.
On le voit bien, deux motifs veulent s'imposer et chacun se dédouble à son tour: la presqu'île et l'isthme rocheux, le belvédère et les tunnels. La presqu'île, dans la largeur de son méandre est DERIVE: les eaux dévient et tournent autour de l'éminence ronde et trapue; elle est aussi DERIVATION: les eaux, s'il n'y avait pas le barrage et la porte verticale noire comme une herse pleine, bifurqueraient dans l'impétuosité de la rencontre de leurs cours momentanément séparés, jusqu'à l'épuisement, l'assèchement du single rosâtre à l'odeur de vase qui hante le souvenir des sensations jusqu'à la fin des jours. Le point de vue trouve dans les tunnels (Maillebroc et Puechmergou) sa négation ou plutôt, à bien y réfléchir, la condition même de sa splendeur: sortant du noir, à deux reprises, et se présentant comme la première image renouvelée en surplomb des forêts de chênes et de châtaigniers que le percement des passages obscurs n'a pas faits s'effondrer. Quant aux motifs voisins, ils vibrent aussi pour se hisser jusqu'à leur révélation: les villes italiennes compliquées d'arcades ou de versants abrupts, les manifestations chiffrées dans le dédale des rues; puis la ville des mineurs, des écoles et des contreforts rocheux, formes qui, dans le sillage ici creusé, en entraînent d'autres. Puis deux encore: les ellipses des ronds points en pente et les voix brisées. Puis d'autres aussi que l'on pourrait aisément, si on le souhaitait, classer deux par deux: les deux bateaux noirs filmés à contre-jour, la vigne et la cuve, les deux soeurs. Enfin tous ceux qui, tapis dans l'ombre du texte, momentanément oubliés, n'attendent qu'un signal pour apparaître: les deux cimetières ou les deux cinémas, par exemple, qui, ainsi nommés, sont déjà là.
Dès l'aurore, certains jours, les rayons du soleil traversent tout l'espace de la pièce du haut et tracent sur les blocs de schiste apparents du mur du fond de la grange des taches irrégulières reproduisant les vides entre le cadre de bois de la porte-fenêtre et les montants de maçonnerie; ces traces claires se déplacent bien sûr selon les mouvements imperceptibles du globe terrestre et sont , dès le réveil (qu'elles provoquent peut-être), une indication réjouissante de beau temps. Les travaux d'aménagement d'une part et la croissance des arbres de l'autre entraînent une modification de la projection: les surfaces lumineuses mouvantes et irrégulières reflètent les losanges noirs des feuilles de bouleau qui les tachent, ensemble de miniatures animées aux motifs conjecturaux dont se repaît ce moment d'incertitude entre la veille et le sommeil; les pierres éclairées maintiennent leurs arrangements grossiers que jointe le ciment pendant que la lanterne du jour et la brise animent les figurines des paysages réfléchis.
Ils s'abattent maintenant sur la table du jardin et les petits ne se distinguent des parents que par leur comportement agité et bruyant: bec ouvert, ailes écartées, piaulements éperdus, quête vitale de nourriture. Ces quatre mésanges ont la même taille et le même plumage, ventre clair cerclé de noir, calotte noire et bec pointu, oiseaux dont la vivacité brusque et légère s'accommode mal de la lourdeur de cet appétit déréglé. Ils sautent et s'affrontent sur cette piste couverte de miettes avant de trouver l'accord fugace qui fera tomber dans le gosier d'un jeune la chenille ou le papillon, le ver ou la graine coincés dans l'étau mince du bec de l'adulte. Tache sur tache et mouvement sur immobilité, ils tourbillonnent sur les points marron et noirs sur fond beige de la version plastifiée de la robe du plus terrible des prédateurs. Sur cette nappe ponctuée mais lisse les griffes n'ont pas de prise et la frénésie se renforce d'embardées et de déséquilibres qui prolongent la violence des instincts complémentaires. Bientôt l'ellipse du plateau de la table reste vide et la constellation des marques en trompe-l'oeil de la toile cirée perd ce double animé que le passage des oiseaux ocellés de noir a convulsivement projeté sur sa surface sans plis.
"…. e per vedere anco la Chartrosa la quale con ragione ha il grido d'une bellissima Chiesa.
(…et pour voir aussi la Chartreuse qui a justement la réputation d'une très belle Eglise.)La facciata d'ell'intrata tutta di marmo con infiniti lavori… e il chiostro d'una grandezza inusitata e bellissimo.
(La façade de l'entrée toute de marbre avec d'infini travaux… et le cloître d'une rare grandeur et très beau).
Queste son le più belle cose.
(Ce sont les plus belles choses).La casa è grandissima d'intorno e fa vista non solamente in grandezza e quantita di diversi edifici, ma più in numero di gente, servitori, cavalli, cocchi, manovali & artigiani, d'una corte d'un grandissimo Principe.
(Les alentours de la maison sont très étendus et ne sont pas seulement remarquables par la grandeur et la quantité de divers bâtiments, mais plutôt par le nombre de gens, serviteurs, chevaux, cuisiniers, manœuvres et artisans d’une cour de grand prince).
Si lavora di continuo con spesa incredibile, la quale fanno i prati delle lor intrate.(Ces travaux incessants entraînent des dépenses incroyables, payées par les prêtres lors de leur entrée).
Il sito è nel mezzo di un prato bellissimo."
(Le lieu est situé au centre d’un très beau pré)."
Il s’agit de la chartreuse de Pavie
(La Certosa di P…)
et l’italien est celui qu’utilise Montaigne pour rédiger une grande partie de son
« VOYAGE »
en Italie."Buio!',
"Luce!":
la répétition s'achève, il est cinq heures de l'après-midi, le metteur en scène donne les ordres réglant les jeux d'ombre et de lumière et par la force du mot le noir surgit dans la clarté estivale d'une chaude journée du mois d'août, puis le soleil pourtant présent sans arrêt, revient. La cour intérieure du palais retentit maintenant de la voix de la chanteuse qui conclura le spectacle, accompagnée des coups sourds des pieds des danseurs en habit de cour sur l'estrade de bois et des notes sèches du clavecin. Et le soir, en effet:
« Noir »,
puis
« Lumière »
mais sans la voix qui dirige, simplement comme retombées de la voix, obéissance à la voix de l’après-midi, parmi les trilles et les voltes, tourmentées d'extase, les chants d'amour de haine et de folie… le
« noir »,
de nouveau puis
« Luce »
dans la nuit noire.
La Certosa di P…, La chartreuse de P…, la Certosa di Padula,
la Charteuse de Padula :
« Une collection pensée sur mesure pour le lieu. Et même plus: faite sur place. C’eût été une erreur de présenter des œuvres fabriquées à l’avance dans les ateliers des artistes: il est plus juste de travailler sur le temps - voir le titre « les oeuvres et les jours » - que sur l'espace. Le temps de la création artistique aux côtés de la règle de la création artistique: et voilà Le Concept, sous-titre de cette année: l'an dernier c'était le Verbe, l'an prochain ce sera La Vanité… »
"Le ciel clair et bleu semble avoir été inventé pour servir de cadre à la géométrie des arcades, des escaliers, des jardins, des pavés, des fontaines…",
"…Les cellules sont constituées de plusieurs pièces et accueillent deux, parfois trois, installations diverses…"
De quoi s'agit-il, entre autres? De plusieurs pièces de plastique blanc moulé, l’une prolongeant l’autre par métamorphose enchaînée, un double évier allongé devenant la barque-cercueil qui lui est amarrée, flottant immobile sur une flaque solide de la même matière lisse et brillante, dont le motif hésitant des bords est celui du contour d’un blanc d’œuf au plat, oeuvre intitulée:
"00-002",
d'une cellule consacrée à Diane et actéon, oeuvre intitulée:
"Estasi, monomanie su Dana e Atteone"("Extase, monomanies sur Dane et Actéon), de
"…passi…"
(« …pas… » ): sol en miroir brisé par la pesante traversée d’un personnage disparu dans le fond, et d'une cellule entièrement rouge, et d'une autre dont la table dorée sert de catafalque à un cadavre doré lui aussi
("Sarcofago conditus").
Que dire de cette chartreuse qui revient, déployant l'ordre de ses cellules à partir du pivot de l'initiale commune - Parma Pavia Padula etc - ordre des cellules redoublant l'ordre alphabétique, faisant de chaque lettre une clé d'accès à sa définition matérielle de petit logis à l'écart? et que dire de cette image de retrait: retrait du monde mais surtout retrait dans l'anonymat de l'écrit, feuille à l'automne cachée dans une forêt de feuillus perdant leurs feuilles, retrait du personnage dans la protection des mots, éternité de mots qui accueille ses mots? et que dire aussi de ces lieux d'enfermement ou d'invention, musée, prison, dont le reflet miroite parmi les mots, et que les mots, à leur tour, construisent et enferment? C'est le lieu retiré que bâtit l'écrit, c'est la cellule de l'écran allumé où l'on frappe qui attire l'écrit et le cache selon sa règle; c'est enfin l'architecture dont les volumes supposés favorisent la venue d'ornements, d'infinis travaux, motifs de marbre composites, alternances contrastées de couleurs, alentours superbes, dispositions, exhibitions, leurres.
Ici, pas de blessure infligée à soi-même mais la mort subie, dont le long cheminement interne dura plusieurs années. Ailleurs, A. savait qu'elle était menacée et l'issue fatale n'a surpris que le jeune ignorant soumis aux caprices inflexibles de ses audaces sexuelles et plus tard captivé par le rideau d’un rouge infernal. Ici, nul mystère et l'énigme est depuis longtemps résolue, nulle inconséquence de conduite, nul scandale à révéler, et la retraite dans la chambre maintenant jaune est celle du deuil qui cherche l'écart des espaces clos. L'ordre des meubles et des objets s'est modifié comme sous l'effet d'un rêve: glissements et synthèses, rupture et continuité, en fusion lente qui dérive.
Elle a repris pour l'occasion son chapeau plat aux larges bords, chapeau noir de demi-deuil la protégeant du soleil alors que l'autre, rond et prolongé de deux pans de crêpe n'était qu'un signal, et dans les chutes bleues de la sous-jupe de la robe de mariée de sa fille cadette elle a fait coudre par sa modiste une bordure qui égaie la coiffe assez harmonieusement pour que l'ajout de cette pièce ne trahisse pas un souci d'économie. Deux motifs se rejoignent ici: la juxtaposition de couleurs annonçant la fin si longtemps différée du deuil, la bande de tissu bleu exhibant partiellement ce qui, dans la confection de la robe de mariée elle-même, est caché par trois épaisseurs de tulle et la guipure extérieure blanche.
On le voit bien, deux motifs veulent s'imposer et chacun se dédouble à son tour: la presqu'île et l'isthme rocheux, le belvédère et les tunnels. La presqu'île, dans la largeur de son méandre est DERIVE: les eaux dévient et tournent autour de l'éminence ronde et trapue; elle est aussi DERIVATION: les eaux, s'il n'y avait pas le barrage et la porte verticale noire comme une herse pleine, bifurqueraient dans l'impétuosité de la rencontre de leurs cours momentanément séparés, jusqu'à l'épuisement, l'assèchement du single rosâtre à l'odeur de vase qui hante le souvenir des sensations jusqu'à la fin des jours. Le point de vue trouve dans les tunnels (Maillebroc et Puechmergou) sa négation ou plutôt, à bien y réfléchir, la condition même de sa splendeur: sortant du noir, à deux reprises, et se présentant comme la première image renouvelée en surplomb des forêts de chênes et de châtaigniers que le percement des passages obscurs n'a pas faits s'effondrer. Quant aux motifs voisins, ils vibrent aussi pour se hisser jusqu'à leur révélation: les villes italiennes compliquées d'arcades ou de versants abrupts, les manifestations chiffrées dans le dédale des rues; puis la ville des mineurs, des écoles et des contreforts rocheux, formes qui, dans le sillage ici creusé, en entraînent d'autres. Puis deux encore: les ellipses des ronds points en pente et les voix brisées. Puis d'autres aussi que l'on pourrait aisément, si on le souhaitait, classer deux par deux: les deux bateaux noirs filmés à contre-jour, la vigne et la cuve, les deux soeurs. Enfin tous ceux qui, tapis dans l'ombre du texte, momentanément oubliés, n'attendent qu'un signal pour apparaître: les deux cimetières ou les deux cinémas, par exemple, qui, ainsi nommés, sont déjà là.
Dès l'aurore, certains jours, les rayons du soleil traversent tout l'espace de la pièce du haut et tracent sur les blocs de schiste apparents du mur du fond de la grange des taches irrégulières reproduisant les vides entre le cadre de bois de la porte-fenêtre et les montants de maçonnerie; ces traces claires se déplacent bien sûr selon les mouvements imperceptibles du globe terrestre et sont , dès le réveil (qu'elles provoquent peut-être), une indication réjouissante de beau temps. Les travaux d'aménagement d'une part et la croissance des arbres de l'autre entraînent une modification de la projection: les surfaces lumineuses mouvantes et irrégulières reflètent les losanges noirs des feuilles de bouleau qui les tachent, ensemble de miniatures animées aux motifs conjecturaux dont se repaît ce moment d'incertitude entre la veille et le sommeil; les pierres éclairées maintiennent leurs arrangements grossiers que jointe le ciment pendant que la lanterne du jour et la brise animent les figurines des paysages réfléchis.
Ils s'abattent maintenant sur la table du jardin et les petits ne se distinguent des parents que par leur comportement agité et bruyant: bec ouvert, ailes écartées, piaulements éperdus, quête vitale de nourriture. Ces quatre mésanges ont la même taille et le même plumage, ventre clair cerclé de noir, calotte noire et bec pointu, oiseaux dont la vivacité brusque et légère s'accommode mal de la lourdeur de cet appétit déréglé. Ils sautent et s'affrontent sur cette piste couverte de miettes avant de trouver l'accord fugace qui fera tomber dans le gosier d'un jeune la chenille ou le papillon, le ver ou la graine coincés dans l'étau mince du bec de l'adulte. Tache sur tache et mouvement sur immobilité, ils tourbillonnent sur les points marron et noirs sur fond beige de la version plastifiée de la robe du plus terrible des prédateurs. Sur cette nappe ponctuée mais lisse les griffes n'ont pas de prise et la frénésie se renforce d'embardées et de déséquilibres qui prolongent la violence des instincts complémentaires. Bientôt l'ellipse du plateau de la table reste vide et la constellation des marques en trompe-l'oeil de la toile cirée perd ce double animé que le passage des oiseaux ocellés de noir a convulsivement projeté sur sa surface sans plis.
"…. e per vedere anco la Chartrosa la quale con ragione ha il grido d'une bellissima Chiesa.
(…et pour voir aussi la Chartreuse qui a justement la réputation d'une très belle Eglise.)La facciata d'ell'intrata tutta di marmo con infiniti lavori… e il chiostro d'una grandezza inusitata e bellissimo.
(La façade de l'entrée toute de marbre avec d'infini travaux… et le cloître d'une rare grandeur et très beau).
Queste son le più belle cose.
(Ce sont les plus belles choses).La casa è grandissima d'intorno e fa vista non solamente in grandezza e quantita di diversi edifici, ma più in numero di gente, servitori, cavalli, cocchi, manovali & artigiani, d'una corte d'un grandissimo Principe.
(Les alentours de la maison sont très étendus et ne sont pas seulement remarquables par la grandeur et la quantité de divers bâtiments, mais plutôt par le nombre de gens, serviteurs, chevaux, cuisiniers, manœuvres et artisans d’une cour de grand prince).
Si lavora di continuo con spesa incredibile, la quale fanno i prati delle lor intrate.(Ces travaux incessants entraînent des dépenses incroyables, payées par les prêtres lors de leur entrée).
Il sito è nel mezzo di un prato bellissimo."
(Le lieu est situé au centre d’un très beau pré)."
Il s’agit de la chartreuse de Pavie
(La Certosa di P…)
et l’italien est celui qu’utilise Montaigne pour rédiger une grande partie de son
« VOYAGE »
en Italie."Buio!',
"Luce!":
la répétition s'achève, il est cinq heures de l'après-midi, le metteur en scène donne les ordres réglant les jeux d'ombre et de lumière et par la force du mot le noir surgit dans la clarté estivale d'une chaude journée du mois d'août, puis le soleil pourtant présent sans arrêt, revient. La cour intérieure du palais retentit maintenant de la voix de la chanteuse qui conclura le spectacle, accompagnée des coups sourds des pieds des danseurs en habit de cour sur l'estrade de bois et des notes sèches du clavecin. Et le soir, en effet:
« Noir »,
puis
« Lumière »
mais sans la voix qui dirige, simplement comme retombées de la voix, obéissance à la voix de l’après-midi, parmi les trilles et les voltes, tourmentées d'extase, les chants d'amour de haine et de folie… le
« noir »,
de nouveau puis
« Luce »
dans la nuit noire.
La Certosa di P…, La chartreuse de P…, la Certosa di Padula,
la Charteuse de Padula :
« Une collection pensée sur mesure pour le lieu. Et même plus: faite sur place. C’eût été une erreur de présenter des œuvres fabriquées à l’avance dans les ateliers des artistes: il est plus juste de travailler sur le temps - voir le titre « les oeuvres et les jours » - que sur l'espace. Le temps de la création artistique aux côtés de la règle de la création artistique: et voilà Le Concept, sous-titre de cette année: l'an dernier c'était le Verbe, l'an prochain ce sera La Vanité… »
"Le ciel clair et bleu semble avoir été inventé pour servir de cadre à la géométrie des arcades, des escaliers, des jardins, des pavés, des fontaines…",
"…Les cellules sont constituées de plusieurs pièces et accueillent deux, parfois trois, installations diverses…"
De quoi s'agit-il, entre autres? De plusieurs pièces de plastique blanc moulé, l’une prolongeant l’autre par métamorphose enchaînée, un double évier allongé devenant la barque-cercueil qui lui est amarrée, flottant immobile sur une flaque solide de la même matière lisse et brillante, dont le motif hésitant des bords est celui du contour d’un blanc d’œuf au plat, oeuvre intitulée:
"00-002",
d'une cellule consacrée à Diane et actéon, oeuvre intitulée:
"Estasi, monomanie su Dana e Atteone"("Extase, monomanies sur Dane et Actéon), de
"…passi…"
(« …pas… » ): sol en miroir brisé par la pesante traversée d’un personnage disparu dans le fond, et d'une cellule entièrement rouge, et d'une autre dont la table dorée sert de catafalque à un cadavre doré lui aussi
("Sarcofago conditus").
Que dire de cette chartreuse qui revient, déployant l'ordre de ses cellules à partir du pivot de l'initiale commune - Parma Pavia Padula etc - ordre des cellules redoublant l'ordre alphabétique, faisant de chaque lettre une clé d'accès à sa définition matérielle de petit logis à l'écart? et que dire de cette image de retrait: retrait du monde mais surtout retrait dans l'anonymat de l'écrit, feuille à l'automne cachée dans une forêt de feuillus perdant leurs feuilles, retrait du personnage dans la protection des mots, éternité de mots qui accueille ses mots? et que dire aussi de ces lieux d'enfermement ou d'invention, musée, prison, dont le reflet miroite parmi les mots, et que les mots, à leur tour, construisent et enferment? C'est le lieu retiré que bâtit l'écrit, c'est la cellule de l'écran allumé où l'on frappe qui attire l'écrit et le cache selon sa règle; c'est enfin l'architecture dont les volumes supposés favorisent la venue d'ornements, d'infinis travaux, motifs de marbre composites, alternances contrastées de couleurs, alentours superbes, dispositions, exhibitions, leurres.
à suivre... la semaine prochaine.
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