III
La troisième salle est dite des
«Trois Niches ».
Par l’une de ses deux ouvertures latérales (qui se font face) on aperçoit, dans la pénombre des hauteurs, le plafond de cèdre sculpté en stalactites sur ses bords et creusé dans toute sa partie centrale de petits caissons octogonaux. Quand on les observe de biais dans la lumière diffuse qui les atténue, on croit à de simples à-plats géométriques marquetés en trompe l’œil, festonnés sur la moitié de leur pourtour de croissants de lune presque noirs. Cette illusion est vite dissipée si l’on change de point de vue, par exemple en se déplaçant jusqu’à la porte principale ; on s’aperçoit alors qu’il ne s’agit que de l’ombre portée, variable donc selon l’orientation de la lumière, d’une véritable profondeur. Une preuve supplémentaire en est donnée par les deux pigeons occupant chacun l’un de ces nids, dans la retombée verticale de la coupole; ils sont couchés dans l’obscurité, immobiles et tronqués par le rebord qui les soutient. Dérivation.
En réalité, la Lune à l’horizon n’est pas plus volumineuse que la lune au Zénith. (Miroitements de lunes : les textes-satellites miroitent… déjà dit)
«… pourquoi notre proche voisine céleste semble plus grosse quand elle est à l’horizon plutôt qu’au zénith… Le responsable de cette illusion… c’est le cerveau. Il nous ferait voir la Lune plus grosse lorsqu’elle est à l’horizon parce qu’il la croit plus loin que quand elle est au zénith… A l’inverse, lorsque la Lune est élevée dans le ciel, aucun repère. Le cerveau la «croit» plus près, et donc révise sa taille à la baisse. »/
/qu’en est-il des textes-lunes, des phrases, des paragraphes ? Quand la phrase
« monte à l’horizon »
de l’écran, paraît-elle si lointaine qu’il faille la grossir, la rapprocher et que sa chaleur nous brûle alors les doigts et que cette fusion du doigt et de la lettre risque d’empoisser le mouvement, son avancée ? Et les phrases
«au zénith »
de l’écran sont-elles proches au point qu’il faille les lâcher comme des ballons-sondes dans l’altitude infinie au risque de les perdre ? Mais les abrupts parallélismes qui précèdent, entre phrases et satellites, simplifient trop la perception de l’écrit, négligent les modifications incessantes, les gommages, les atténuations ou les renforcements, la continuité de l’élaboration. De plus, dans ce monde multi-lunaire, d’un paragraphe à l’autre et encore à l’autre (suivant ou précédent) les illusions sont multiples et varient, formant des disproportions ponctuelles et instables, des intensités variables, des échanges et des relances (échanges de disproportions… relance d’intensités…). Enfin, les obstacles rencontrés en cours de route, les gênes, les appuis fragiles, l’embarras de la vision, un premier plan hétéroclite, semblent parfois éloigner définitivement, et mettre hors de portée de la moindre correction, l’écrit en cours ; sa netteté finale, en apesanteur, le rend au contraire accessible : il n’y a qu’à tendre la main, sans s’offusquer…
Concernant la poésie, la question lui fut posée très tôt, presque au début de la rencontre. La réponse fut :
« Porte donnant ».
D’abord, il n’avait rien vu, pas remarqué… Les lettres n’apparaissent que si certaines conditions sont réunies pour que le contraste joue, sinon rien : le paysage défile, les abords de la ville se précisent, le tissu urbain devient plus dense, hétéroclite en ce voisinage des voies ferrées et c’est sans doute lorsque le wagon entre à son tour sous le couvert métallique de la gare et que varient les rapports de luminosité entre le dehors et le dedans et que le regard du voyageur pressé d’arriver et déjà debout, là, avec ses bagages, fixe la portière, que le message gravé sur la vitre ressort clairement. Trois lignes décomposent l’énoncé comme sous l’effet d’une contrainte purement spatiale, la disposition prenant le pas sur le sens comme si ce luxe de présentation était plus important que la mise en garde réglementaire, par ailleurs banale. Faut-il seulement y voir une précaution supplémentaire, motivée par le laconisme d’un message qui, sans cela, pourrait passer inaperçu ? Mais qu’en serait-il, dans ce cas, de la poésie ? Son illusion persiste toutefois, ancrée dans la découpe elle-même :
«Porte donnant »
puis au-dessous
«sur la »
et enfin, unique, le mot
«voie »,
véritable point d’orgue, écho d’un interminable crissement de freins.
La troisième salle est dite des
«Trois Niches ».
Par l’une de ses deux ouvertures latérales (qui se font face) on aperçoit, dans la pénombre des hauteurs, le plafond de cèdre sculpté en stalactites sur ses bords et creusé dans toute sa partie centrale de petits caissons octogonaux. Quand on les observe de biais dans la lumière diffuse qui les atténue, on croit à de simples à-plats géométriques marquetés en trompe l’œil, festonnés sur la moitié de leur pourtour de croissants de lune presque noirs. Cette illusion est vite dissipée si l’on change de point de vue, par exemple en se déplaçant jusqu’à la porte principale ; on s’aperçoit alors qu’il ne s’agit que de l’ombre portée, variable donc selon l’orientation de la lumière, d’une véritable profondeur. Une preuve supplémentaire en est donnée par les deux pigeons occupant chacun l’un de ces nids, dans la retombée verticale de la coupole; ils sont couchés dans l’obscurité, immobiles et tronqués par le rebord qui les soutient. Dérivation.
En réalité, la Lune à l’horizon n’est pas plus volumineuse que la lune au Zénith. (Miroitements de lunes : les textes-satellites miroitent… déjà dit)
«… pourquoi notre proche voisine céleste semble plus grosse quand elle est à l’horizon plutôt qu’au zénith… Le responsable de cette illusion… c’est le cerveau. Il nous ferait voir la Lune plus grosse lorsqu’elle est à l’horizon parce qu’il la croit plus loin que quand elle est au zénith… A l’inverse, lorsque la Lune est élevée dans le ciel, aucun repère. Le cerveau la «croit» plus près, et donc révise sa taille à la baisse. »/
/qu’en est-il des textes-lunes, des phrases, des paragraphes ? Quand la phrase
« monte à l’horizon »
de l’écran, paraît-elle si lointaine qu’il faille la grossir, la rapprocher et que sa chaleur nous brûle alors les doigts et que cette fusion du doigt et de la lettre risque d’empoisser le mouvement, son avancée ? Et les phrases
«au zénith »
de l’écran sont-elles proches au point qu’il faille les lâcher comme des ballons-sondes dans l’altitude infinie au risque de les perdre ? Mais les abrupts parallélismes qui précèdent, entre phrases et satellites, simplifient trop la perception de l’écrit, négligent les modifications incessantes, les gommages, les atténuations ou les renforcements, la continuité de l’élaboration. De plus, dans ce monde multi-lunaire, d’un paragraphe à l’autre et encore à l’autre (suivant ou précédent) les illusions sont multiples et varient, formant des disproportions ponctuelles et instables, des intensités variables, des échanges et des relances (échanges de disproportions… relance d’intensités…). Enfin, les obstacles rencontrés en cours de route, les gênes, les appuis fragiles, l’embarras de la vision, un premier plan hétéroclite, semblent parfois éloigner définitivement, et mettre hors de portée de la moindre correction, l’écrit en cours ; sa netteté finale, en apesanteur, le rend au contraire accessible : il n’y a qu’à tendre la main, sans s’offusquer…
Concernant la poésie, la question lui fut posée très tôt, presque au début de la rencontre. La réponse fut :
« Porte donnant ».
D’abord, il n’avait rien vu, pas remarqué… Les lettres n’apparaissent que si certaines conditions sont réunies pour que le contraste joue, sinon rien : le paysage défile, les abords de la ville se précisent, le tissu urbain devient plus dense, hétéroclite en ce voisinage des voies ferrées et c’est sans doute lorsque le wagon entre à son tour sous le couvert métallique de la gare et que varient les rapports de luminosité entre le dehors et le dedans et que le regard du voyageur pressé d’arriver et déjà debout, là, avec ses bagages, fixe la portière, que le message gravé sur la vitre ressort clairement. Trois lignes décomposent l’énoncé comme sous l’effet d’une contrainte purement spatiale, la disposition prenant le pas sur le sens comme si ce luxe de présentation était plus important que la mise en garde réglementaire, par ailleurs banale. Faut-il seulement y voir une précaution supplémentaire, motivée par le laconisme d’un message qui, sans cela, pourrait passer inaperçu ? Mais qu’en serait-il, dans ce cas, de la poésie ? Son illusion persiste toutefois, ancrée dans la découpe elle-même :
«Porte donnant »
puis au-dessous
«sur la »
et enfin, unique, le mot
«voie »,
véritable point d’orgue, écho d’un interminable crissement de freins.
à suivre... la semaine prochaine.
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