« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Un banc à éclipses/ intermède 6



C’est un bruit qui alerte : un bruit sec et confus de bois qui chute ou se renverse et la tête se tourne alors vers la porte-fenêtre du jardin et à sa grande surprise l’observateur constate que l’endroit du banc, au fond du jardin à droite contre le mur de séparation et la façade de la dépendance qui fait si bien en photo et qui, par ses couleurs, ressemble à un bloc de maison ligure en miniature tombé là par accident – dans l’angle donc, à l’ombre de l’arbousier, ce banc à lattes, de modèle ancien et répertorié, immuable – que l’endroit du banc donc, est vide.
Vide comme avant, au début, avant l’achat du banc et avant même son placement à cet endroit puisqu’il n’a pas toujours été là et qu’il a occupé d’abord un autre endroit plus flou, moins délimité puis il a été mis là puisqu’à l’évidence c’est là – dans cette assise - qu’il est le mieux du point de vue de l’agrément et de l’utilité. Mais vide comme avant : pas tout à fait, un collage semble se produire, une condensation: contre le mur de séparation on voit toujours le fagot vertical de branches sèches maintenant appuyé au mur de séparation mais sans l’accoudoir du banc qui faisait barrière : deux moments sont superposés et chacun se dédouble selon l’avant et l’après : celui de l’absence de banc –avant et après sa présence, puisqu’il n’est plus là – celui de la présence des branches sèches – qui ont été mises là après lui mais qui y sont encore alors qu’il n’est plus là.
Le temps précipite dans une image faussement simple au bas de laquelle, sur le sol de terre battue bien visible maintenant en l’absence du banc, les moineaux habituels s’ébrouent dans la poussière et se pourchassent.
C’est à retardement que l’illusion de sortir d’un rêve alerté par le bruit sec d’un tas de bois qui s’écroule, que cette illusion donc, est détruite à son tour par le véritable réveil qui remet en place le banc, intact après cette éclipse, dans le coin droit du jardin vu de la porte qui coulisse, grisaillé par le temps humide et toujours pourvu de son coussin minéral : un fragment de roche grise veinée de blanc qui en se refroidissant il y a si longtemps a diminué de volume et s’est froissée en plis irréguliers.

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