« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Une mystérieuse invention/ Intermède 7






On arrive au couvent par une route étroite qui monte sec, doublement pavée de galets et de plaques rectangulaires qui, mises bout à bout, tracent pour les roues des voitures deux voies de pierre grise qu’il ne faut pas quitter : la moindre embardée provoque une trépidation bruyante.



Echec, d’abord : il n’y a pas de visites le dimanche…



La porte est aujourd’hui grande ouverte et le guide vient à nous : il indiquera les différents seuils : celui de la chapelle, de la bibliothèque, du réfectoire… et refermera chacune des portes, après notre retour au cloître, vers la sortie.



Mais cela n’est rien.



La chapelle du couvent des Dominicains de Taggia, à gauche au bout du chemin, au-delà de la tour ouest des anciennes fortifications, du côté de la mer dont on devine le voisinage, derrière les chantiers et les entrepôts, abrite un tableau à histoire : il a été volé puis retrouvé, nous dit-on, quelques années plus tard, à Turin, avec un autre (un Caravage ? C’est du moins le nom que fournit la mémoire incertaine…), restauré et réintégré, enfin, dans les locaux du couvent mais sans son cadre qu’une mauvaise reproduction photographique montre encore, ses bords dorés coïncidant avec ceux de la carte postale.



C’est une oeuvre du Parmigianino, sans date précise (« Vers le milieu du XVIème siècle…»), toujours sans cadre mais soutenue et amplifiée par un montant de bois, haut, dressé: il s’agit d’une épiphanie aux teintes allant du rouge (la robe) à différents roses (le teint) sur un fond sombre, avec des éclats de lumière échelonnés dans la distance. La précocité de l’enfant étonne : il est déjà debout sur les genoux de sa mère et pose ses mains sur les offrandes des rois, pots métalliques contenant l’encens et la myrrhe. Une perle baroque brille à l’oreille d’un mage, à mi-hauteur, près du bord droit.



Le point de vue est celui d’une contreplongée en profondeur de champ : on voit le plafond ajouré de l’étable, d’une rusticité travaillée : construction de bois inachevée ou dégradée ; au centre, mais au second plan : l’âne et le bœuf ; des troupes, lointaines, sous des masses nuageuses.



L’intrinsèque beauté du tableau ne suffit pas à comprendre le ravissement qu’il suscite : le trouble vient de l’invention qui prolonge cette beauté et la recompose toute : l’invention du futur, de ce qui n’existe pas encore et dont on semble ici toucher l’impossible pressentiment par la peinture elle-même, par le travail du peintre qui excède son objet, par ce supplément inabouti qui ne prendra son sens que sous un regard contemporain, par la révélation rétrospective et profane d’une autre invention encore à venir et maintenant advenue, qu’il est inutile de nommer, l’essentiel ayant été dit.







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