LES
COURTS-CIRCUITS: L'EMBLEME.
(éléments d’auto-représentation et d’auto-désignation dans les films de Maurice Pialat et de quelques autres)
Ce que nous appelons emblème est une figure complexe dont nous
tâcherons de préciser la définition, de répertorier les effets, de différencier
les fonctions.
Nous avons
déjà utilisé cette notion :
-
Dans
un plan de Passe ton bac d’abord, les phares de la voiture
deviennent la prothèse cinématographique possible des yeux du père, des projecteurs
hagards donnant à la scène le tremblé fugace d’un fantasme.
-
Nous
avons assigné à la construction en triptyque -avec éclipse centrale du
personnage - une fonction emblématique globale : le jeu de cache-cache,
l’ici et l’ailleurs, le champ et le hors-champ.
Prolongeons, empiriquement, en guise d’ouverture, nos investigations dans ce domaine, par l’étude du générique de Passe ton bac d’abord et de celui d’A nos amours.
CHAPITRE I: GENERIQUES
1)Le générique de Passe ton bac
d’abord est une suite de plans fixes représentant des tables de classe et
leurs graffiti, ce sont des tableaux, presque des « cartons » :
quelque chose est déjà là, inscrit, gravé :
« Voulez-vous faire un groupe
avec moi ? »
« Est-ce que tu
m’aimes ? »
Les lettres blanches du générique
sont d’une belle écriture anglaise ; deux systèmes se superposent :
la norme scolaire étroite (le modèle parfait)n les marques clandestines d’une
écriture sauvage (les uns calligraphient, les autres dégradent…) ; le film
va tâcher d’exister, dans cet écart.
En voix off, un professeur de
philosophie commence son cours en expliquant qu’il faut laisser tout préjugé à
la porte, se débarrasser de tout à priori… (un mode d’emploi du film ?)
Ces marques, ces superpositions, ces
oppositions engendrent le film et lu donnent son genre (un film sur la jeunesse
scolarisée). Il se développe comme modulation d’un genre et le programme
du titre ne sera pas tenu.
Au dernier plan du générique, un
léger zoom avant approche un ensemble de têtes grossièrement dessinées ;
elles deviennent floues et laissent la place à un groupe de lycéennes sur le
plancher d’un gymnase ; on passe de l’inanimé à l’animé, du dessin à son
illustration « vivante », on passe, aussi, de la voix off du
professeur de philosophie à la vox « in » du professeur de
gymnastique : une femme blonde qui donne une leçon de hand-ball. Leurs
discours disent d’ailleurs la même chose : ouvrir l’esprit, ouvrir le jeu.
Le générique rassemble des figures
très rares dans le cinéma de Maurice Pialat : le gros plan d’objet[1]
et la voix off ; ces procédés sont motivés (par une motivation réaliste) à
la fin du film : un mouvement de la caméra s’arrête sur Elizabeth [2]
enceinte (elle « redouble » la terminale), les yeux baissés sur la
table devant elle ; le professeur reprend mot à mot le même cours :
il n’est que ressassement. Le générique annonce surtout ce qui ferme le film,
ce qui boucle la boucle.
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