« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

L'Emblème cinématographique. 1.

 


        LES COURTS-CIRCUITS: L'EMBLEME.

(éléments d’auto-représentation et d’auto-désignation dans les films de Maurice Pialat et de quelques autres)

        Ce que nous appelons emblème est une figure complexe dont nous tâcherons de préciser la définition, de répertorier les effets, de différencier les fonctions.

            Nous avons déjà utilisé cette notion :

-         Dans un plan de Passe ton bac d’abord, les phares de la voiture deviennent la prothèse cinématographique possible des yeux du père, des projecteurs hagards donnant à la scène le tremblé fugace d’un fantasme.

-         Nous avons assigné à la construction en triptyque -avec éclipse centrale du personnage - une fonction emblématique globale : le jeu de cache-cache, l’ici et l’ailleurs, le champ et le hors-champ.

Prolongeons,  empiriquement, en guise d’ouverture, nos investigations dans ce domaine, par l’étude du générique de Passe ton bac d’abord et de celui d’A nos amours. 

                                   

  CHAPITRE I:                                                               GENERIQUES

 

1)Le générique de Passe ton bac d’abord est une suite de plans fixes représentant des tables de classe et leurs graffiti, ce sont des tableaux, presque des « cartons » : quelque chose est déjà là, inscrit, gravé :

« Voulez-vous faire un groupe avec moi ? »

« Est-ce que tu m’aimes ? »

Les lettres blanches du générique sont d’une belle écriture anglaise ; deux systèmes se superposent : la norme scolaire étroite (le modèle parfait)n les marques clandestines d’une écriture sauvage (les uns calligraphient, les autres dégradent…) ; le film va tâcher d’exister, dans cet écart.

En voix off, un professeur de philosophie commence son cours en expliquant qu’il faut laisser tout préjugé à la porte, se débarrasser de tout à priori… (un mode d’emploi du film ?)

Ces marques, ces superpositions, ces oppositions engendrent le film et lu donnent son genre (un film sur la jeunesse scolarisée). Il se développe comme modulation d’un genre et le programme du titre ne sera pas tenu.

Au dernier plan du générique, un léger zoom avant approche un ensemble de têtes grossièrement dessinées ; elles deviennent floues et laissent la place à un groupe de lycéennes sur le plancher d’un gymnase ; on passe de l’inanimé à l’animé, du dessin à son illustration « vivante », on passe, aussi, de la voix off du professeur de philosophie à la vox « in » du professeur de gymnastique : une femme blonde qui donne une leçon de hand-ball. Leurs discours disent d’ailleurs la même chose : ouvrir l’esprit, ouvrir le jeu.

Le générique rassemble des figures très rares dans le cinéma de Maurice Pialat : le gros plan d’objet[1] et la voix off ; ces procédés sont motivés (par une motivation réaliste) à la fin du film : un mouvement de la caméra s’arrête sur Elizabeth [2] enceinte (elle « redouble » la terminale), les yeux baissés sur la table devant elle ; le professeur reprend mot à mot le même cours : il n’est que ressassement. Le générique annonce surtout ce qui ferme le film, ce qui boucle la boucle.

à suivre...

[1]  -Surplomb des tables qui couvre tout l’écran.


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