CHAPITRE II: DEFINITIONS GENERALES
1 .Métaphore :
Nous nous en sommes tenus jusqu’à présent à la définition que Benoît Peeters donne d’emblème : « La désignation métaphorique du cinéma et de ses processus »[1]. L’emblème, comme la métaphore, se fonde sur la ressemblance, l’analogie mais de façon excédentaire : un élément du film ressemble à ce qui l’institue et, dans le même temps, désigne ce qui le produit – l’emblème sème le trouble. Il opacifie momentanément la transparence du film ; la représentation est détournée de sa transitivité référentielle pour revenir sur elle-même : métaphore, sans doute, mais métaphore « en boucle » (pour reprendre, en le déplaçant, le nom du montage circulaire) et qui croise, déjà, un dispositif métonymique (le « contenu » pour la « forme »).
2 . Court-circuit :
L’emblème
provoque un « court-circuit », selon le terme de Bernard Dupriez[2] :
« Une étincelle se produit entre les deux pôles du signe, d’où le nom
de « court-circuit » qui pourrait désigner ces procédés »…
« Il s’agit toujours d’un jeu sur la distance qui peut s’établir entre
signifié et signifiant, soit qu’on les donne l’un pour l’autre, ou qu’ils
soient donnés comme identiques… ou comme contradictoires . »
3. Autonymie :
Le
court-circuit participe de l’autonymie. Dupriez explique : « Le
langage étant un sous-ensemble de l’univers qu’il a pour fonction de dire, a la
faculté de se désigner lui-même, non seulement de façon abstraite, par des
lexèmes appropriés (métalangage, jargon des linguistes) mais aussi
immédiatement, par autonymie.
Ex : Mot est un mot. Le
mot mot.
Je dis mot et pas maux.
Cette faculté de se
désigner soi-même, c’est-à-dire de détourner la visée dénotative du signifié
vers le signifiant, vaut pour des segments même étendus (citations, discours
rapportés).
L’autonymie est
marquée oralement, par une pause (ou un coup de glotte) et une intonation
spéciale ; graphiquement par les italiques, parfois les guillemets. »
François Regnault, dans
un article du numéro spécial des Cahiers du cinéma[3] sur
Hitchcock, utilise cette notion d’autonymie pour caractériser le système formel
des films d’Hitchcock ; citant Jakobson, il rappelle que, dans le cas de
l’autonymie, « Le message renvoie au code » ; il y aurait
court-circuit par interférence entre le message et le code.
C’est par le biais de
cette interférence – en particulier l’interférence entre la situation de la
fiction et la situation du tournage – que le cinéma de Pialat pratique
l’autonymie.
4. Emblème,
autonymie, métalangage :
L’emblème serait donc
une variante de l’autonymie. Tous deux sont proches mais distincts du
métalangage.
Le métalangage, cette
faculté qu’a le langage de s’analyser lui-même, suppose le commentaire
explicite, l’auto-désignation passe par un discours, voire un jargon. La langue
formule sur elle-même propositions et équations.
L’emblème, l’autonymie
sont implicites, directs, immédiats.
5. Emblème,
autonymie :
La présence de la
métaphore – et plus généralement d’une figure – distingue l’emblème de
l’autonymie. L’autonymie est d’abord un mode d’énonciation (« coup de
glotte », « guillemets ») ; en un sens, l’autonymie est
un métalangage intégré. L’emblème est un métalangage non seulement intégré mais
fleuri : il se situe au croisement du métalinguistique et du
poétique : le code est désigné par la figure, le trope.
L’emblème est
« figural », l’autonymie est structurale. C’est déjà postuler deux
modes distincts : l’auto-représentation proprement dite (l’emblème
comme figure) et l’auto-désignation (par le discours : la
citation, le commentaire ; par le montage : la construction
filmique).
6). La
syllepse :
La métaphore ne suffit
plus à définir l’emblème ; une autre figure de la rhétorique classique
prend mieux en compte l’effet de double signification : la syllepse de
sens, classée par Fontanier parmi les tropes « mixtes ». Bernard
Dupriez en donne la définition suivante : « Figure par laquelle un
mot est employé à la fois au propre et au figuré »[4] ;
il la rapproche du « jeu de mots ».
Un plan de Rancho
Notorious ; de Fritz Lang, fonctionne comme une syllepse de
sens : deux amants se retrouvent après une longue séparation, un feu
rougeoie dans la cheminée ; après leur baiser, il se met à
flamboyer ; le feu de bois comme élément du décor (sens propre) est
utilisé au sens figuré pour métaphoriser le nouvel « embrasement » du
couple. (A l’inverse, la série des portes qui s’ouvrent après le plan du baiser
dans Spellbound d’Hitchcock, détachée du contexte et de toute continuité
« réaliste », est pure métaphore et non syllepse).
S’il y a syllepse dans
le film de Fritz Lang, il n’y a pas emblème ; toute syllepse
cinématographique n’a pas automatiquement une valeur autonymique : lorsque
cela se produit, nous parlons de syllepse auto-représentative. Le miroir
dans lequel se reflètent les trois personnages , au début de L’Enfance nue,
est un élément concret du plan et du récit (il en est même un dispositif
fondateur) et en même temps une désignation de l’image, par dédoublement
du point de vue et insertion d’un cadre dans le cadre ; il représente à la
fois la duplication réaliste et l’effet de leurre que produit le cinéma.
Dans son analyse du « métalinguistique
textuel implicite », Bernard Magné [5]
utilise le terme de syllepse ; à partir de la définition de la « syllepse
intertextuelle » donnée par Michel Riffaterre, il établit l’existence
de syllepses métatextuelles. C’est par changement de niveau de signification,
par passage de la dénotation à la connotation qu’elle se
constituent ; elles fondent des isotopies hybrides, le signifié
ultime étant la littéralité : « tel élément de la fiction désigne
indirectement tel fonctionnement… de la narration ».
Citant Fontanier,
Dupriez rappelle que l’on distingue une syllepse de métonymie, une syllepse
de synecdoque et une syllepse de métaphore (l’exemple fameux de l’Andromaque
de Racine, tirade de Phyrrus : « Brûlé de plus de feux que je
n’en allumai », dont la syllepse de Fritz Lang est une variante
cinématographique et…optimiste !).
Le miroir filmé est « désignation
métaphorique » du cinéma, de façon générale ; mais, par son mode
particulier d’organisation du plan, c’est une syllepse de synecdoque (la
partie pour le tout) ; par extension, il peut prendre une valeur métonymique :
le reflet pour le réel. Le cinéma développant une esthétique du fragment
référentiel, il est compréhensible que ses signes les plus élaborés glissent et
recouvrent différents niveaux de sens (le plan, le film, le
« réel »…). C’est dire que, bien plus qu’en littérature, l’extension
des figures, leur chevauchement, nous pousse, en fonction même de l’image
cinématographique, à définir des dominantes sensibles au contexte et non
des essences. Analogique et continu, le plan de cinéma rend la
figure diffuse, tant dans son inscription (pas de localisation sur un mot,
comme pour les tropes) que dans ses effets (pluralité des significations).
Essayons de confronter les différences :
dans le texte la figure est:
précise
fixe
ponctuelle
explicite
répertoriée (souvent)
Dans le film la figure est:
diffuse
instable
continue
allusive
originale (souvent)
[1] - Benoît Peeters, L’Activité
hitchcockienne I, Conséquences n° 3, Eté 1984, p. 90.
[2] - Bernard Dupriez, Gradus ad
Parnassum, Collection 10/18, n°
1370, pp. 137-138.
[3] - Système formel d’Hitchcock, Hors-Série
n°8, pp. 22-24.
[4] - Gradus,
p. 434.
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