II.
L’EMBLEME, SYNECDOQUE PAR TELESCOPAGE :
La contiguïté prend ici la forme d’une connexion interne au
plan : l’image dans l’image.
A .La
photographie et le film :
Cette étude a une valeur transitoire,
c’est un passage de la métonymie à la synecdoque.
a)Le dispositif
redoublé : une prise pour une autre ou le film pour la photographie, le
plan pour l’image :
La séquence de
l’identification de « Nez-cassé », dans Police est mise en
scène selon un double processus : la photographie, puis l’identification
proprement dite. Toutes deux redoublent – d’abord avec un appareil, puis sans
lui – le dispositif du tournage. Nous sommes encore dans l’emblème
métonymique ; aucune photographie ne sera produite dans le film,
mais l’objectif de la caméra se substitue à l’objectif photographique fictif,
en fardant son caractère spécifique (panoramiques horizontaux) :entrée des
« suspects » (vêtus de la même façon mais, comme toujours, le
véritable suspect se distingue nettement des policiers banalisés), mise en
place de la pose et prise de la photographie (deux plans en champ/contre-champ,
le deuxième étant un vrai plan de fausse photographie).
La vieille dame
agressée vient reconnaître le suspect : sa protection est assurée par un
tissu noir tendu à bout de bras dans l’encadrement de la porte, et percé d’un
trou par lequel elle regarde, avatar de la « camera oscura ».
Dans ce cas, l’appareil lui-même est emblématisé (par métaphore).
Deux trouvailles de
scénario troublent l’évidence : Marie Vedret [1],
inspectrice stagiaire, serre toutes les mains en arrivant dans le bureau, y
compris celle du suspect qu’elle ne distingue pas de ses collègues ; elles
est - encore – dans le leurre de la fiction. La vieille dame transforme
l’identification en bruyante dénégation : « Ce n’est pas lui ! »
dit-elle en désignant le numéro du suspect, en refusant l’évidence
« photographique ».
Le premier plan de la
séquence du mariage dans L’Enfance nue présente déjà une telle
substitution : les point de vue de la caméra est exactement celui de
l’objectif d’un appareil qui prendrait la photo de groupe traditionnelle en
cette circonstance : le plan est une « photographie vivante », comme
on dit « un tableau vivant »[2] :
un plan d’ensemble, fixe, de personnages immobiles. Le plan suivant en est le
contre-champ : deux photographes au travail, l’un avec un appareil normal,
l’autre avec un Polaroïd (mais nous ne verrons pas la photo produite).
b)La photo
filmée : l’image
dans le plan, l’image pour le plan.
Dans la continuité de
la scène que nous venons d’analyser, François, le personnage principal, se
saisit du polaroïd et produit à son tour une photographie : celle de
« Mémère la Vieille » portant un toast. Selon la symétrie décalée qui
paraît être un des choix formels importants de Pialat quant à la construction
des séquences, celle-ci finit par la contemplation conjointe, par la vieille
dame et par l’enfant, de la photographie qui vient d’être prise et qui se
substitue à celle, restée invisible, du groupe de la noce.
Deux plans après, nous,
spectateurs, assisterons, et nous serons les seuls, à la mort de la vieille
dame ; photographiée, Mémère peut mourir. « La toute jeune
maman » dont François avait trouvé la photographie, lors d’une séquence
antérieure, voit son destin accompli sous les traits d’une vieille dame levant
son verre à d’improbables lendemains. La photographie exhume (la jeune femme
ramenée au jour) et tue (la vieille dame devenue image). Le polaroïd transforme
instantanément le présent en passé : le « ça a été » (Noème de
toute photographie pour Roland Barthes [3])
reste pris dans l’actualité : « ça a été, là, maintenant ». La
photographie filmée n’est pas seulement ici la marque emblématique de l’image
redoublée, elle est aussi un télescopage temporel, une condensation spatio-temporelle,
un précipité de présent en train de se déposer.
Le cinéma de Pialat
ignore le flash-back. La photo est aussi, toujours dans L’Enfance nue,
une trace du passé, réactualisé par le commentaire, dans la séquence entre
François et Pépère. Le vieil homme évoque la guerre en tenant entre ses mains
un montage photographique représentant parents et amis disparus (Dans la
séquence des chansons entre François et Mémère, le livre illustré remplace la
photographie comme cadre dans le cadre).
La photographie
filmée est une synecdoque emblématique de la partie pour le tout :
Spatialement, la photographie filmée, selon un
rapport d’inclusion, donne simultanément deux images à superpositions
variables : l’image dans le plan lui-même en tant qu’image de cette
image.
Lorsqu’il y a
superposition parfaite (avec disparition du cadre de la photographie dans le
cadre de l’écran), ou agrandissement du détail, la figure reste proche de la
valeur logique de la métonymie : l’image pour le plan.
Temporellement, un écarte demeure entre le passé de
la prise de vue photographique, présent symbolisé par la contemplation de la
photo : le personnage revisite le passé, le polaroïd de L’Enfance nue réduit
cet écart et tend vers la simultanéité temporelle.
[1] - Jouée par Pascal Rocard.
[2] - On trouve dans Week-end, de Jean-Luc
Godard, un plan analogue qualifié de « FAUX-TOGRAPHIE » par un des
cartons du film.
[3] - La Chambre claire.
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