« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

L'Emblème cinématographique. 6.

 


II.                   L’EMBLEME, SYNECDOQUE PAR TELESCOPAGE :


La contiguïté prend ici la forme d’une connexion interne au plan : l’image dans l’image.

 

A .La photographie et le film :


      Cette étude a une valeur transitoire, c’est un passage de la métonymie à la synecdoque.


a)Le dispositif redoublé : une prise pour une autre ou le film pour la photographie, le plan pour l’image :


La séquence de l’identification de « Nez-cassé », dans Police est mise en scène selon un double processus : la photographie, puis l’identification proprement dite. Toutes deux redoublent – d’abord avec un appareil, puis sans lui – le dispositif du tournage. Nous sommes encore dans l’emblème métonymique ; aucune photographie ne sera produite dans le film, mais l’objectif de la caméra se substitue à l’objectif photographique fictif, en fardant son caractère spécifique (panoramiques horizontaux) :entrée des « suspects » (vêtus de la même façon mais, comme toujours, le véritable suspect se distingue nettement des policiers banalisés), mise en place de la pose et prise de la photographie (deux plans en champ/contre-champ, le deuxième étant un vrai plan de fausse photographie).

La vieille dame agressée vient reconnaître le suspect : sa protection est assurée par un tissu noir tendu à bout de bras dans l’encadrement de la porte, et percé d’un trou par lequel elle regarde, avatar de la « camera oscura ». Dans ce cas, l’appareil lui-même est emblématisé (par métaphore).

Deux trouvailles de scénario troublent l’évidence : Marie Vedret [1], inspectrice stagiaire, serre toutes les mains en arrivant dans le bureau, y compris celle du suspect qu’elle ne distingue pas de ses collègues ; elles est - encore – dans le leurre de la fiction. La vieille dame transforme l’identification en bruyante dénégation : « Ce n’est pas lui ! » dit-elle en désignant le numéro du suspect, en refusant l’évidence « photographique ».

Le premier plan de la séquence du mariage dans L’Enfance nue présente déjà une telle substitution : les point de vue de la caméra est exactement celui de l’objectif d’un appareil qui prendrait la photo de groupe traditionnelle en cette circonstance : le plan est une « photographie vivante », comme on dit « un tableau vivant »[2] : un plan d’ensemble, fixe, de personnages immobiles. Le plan suivant en est le contre-champ : deux photographes au travail, l’un avec un appareil normal, l’autre avec un Polaroïd (mais nous ne verrons pas la photo produite).


b)La photo filmée : l’image dans le plan, l’image pour le plan.


Dans la continuité de la scène que nous venons d’analyser, François, le personnage principal, se saisit du polaroïd et produit à son tour une photographie : celle de « Mémère la Vieille » portant un toast. Selon la symétrie décalée qui paraît être un des choix formels importants de Pialat quant à la construction des séquences, celle-ci finit par la contemplation conjointe, par la vieille dame et par l’enfant, de la photographie qui vient d’être prise et qui se substitue à celle, restée invisible, du groupe de la noce.

Deux plans après, nous, spectateurs, assisterons, et nous serons les seuls, à la mort de la vieille dame ; photographiée, Mémère peut mourir. « La toute jeune maman » dont François avait trouvé la photographie, lors d’une séquence antérieure, voit son destin accompli sous les traits d’une vieille dame levant son verre à d’improbables lendemains. La photographie exhume (la jeune femme ramenée au jour) et tue (la vieille dame devenue image). Le polaroïd transforme instantanément le présent en passé : le « ça a été » (Noème de toute photographie pour Roland Barthes [3]) reste pris dans l’actualité : « ça a été, là, maintenant ». La photographie filmée n’est pas seulement ici la marque emblématique de l’image redoublée, elle est aussi un télescopage temporel, une condensation spatio-temporelle, un précipité de présent en train de se déposer.

Le cinéma de Pialat ignore le flash-back. La photo est aussi, toujours dans L’Enfance nue, une trace du passé, réactualisé par le commentaire, dans la séquence entre François et Pépère. Le vieil homme évoque la guerre en tenant entre ses mains un montage photographique représentant parents et amis disparus (Dans la séquence des chansons entre François et Mémère, le livre illustré remplace la photographie comme cadre dans le cadre).

La photographie filmée est une synecdoque emblématique de la partie pour le tout :

Spatialement, la photographie filmée, selon un rapport d’inclusion, donne simultanément deux images à superpositions variables : l’image dans le plan lui-même en tant qu’image de cette image.

Lorsqu’il y a superposition parfaite (avec disparition du cadre de la photographie dans le cadre de l’écran), ou agrandissement du détail, la figure reste proche de la valeur logique de la métonymie : l’image pour le plan.

Temporellement, un écarte demeure entre le passé de la prise de vue photographique, présent symbolisé par la contemplation de la photo : le personnage revisite le passé, le polaroïd de L’Enfance nue réduit cet écart et tend vers la simultanéité temporelle.



[1]  - Jouée par Pascal Rocard.

[2]  - On trouve dans Week-end, de Jean-Luc Godard, un plan analogue qualifié de « FAUX-TOGRAPHIE » par un des cartons du film.

[3]  - La Chambre claire.


Suite

Début

La Photographie n'est pas la peinture

Aucun commentaire:



>Contact : chamayoube@orange.fr