« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Une famille à tiroirs, à propos de film de John Ford, "Four sons", 4.

 

4) Situons, pour finir, cette séquence dans l’ensemble du film.

On pourrait parler de « polysémie prémonitoire », de rapports cinématographiques entre l’actuel et le virtuel, le virtuel et l’actuel.

 La prémonition est l’intuition, la perception confuse qu’un événement, généralement malheureux, va ou peut se produire. Cela renvoie à un processus d’actualisation de ce qui reste virtuel dans ce début…

Les plans de l’armoire, de ses tiroirs, de leurs étiquettes, prennent une signification supplémentaire dans le contexte général du film. Ils sont à la fois des éléments d’ « exposition » et des éléments de « prémonition »,  liés au genre du film - un mélodrame familial - et cette séquence contient, virtuellement, des indices de genre qui vont s’actualiser peu à peu.

Les tiroirs à linge resteront définitivement fermés : trois fils meurent à la guerre, le quatrième émigre.  Déjà, dans ce début, ils n’étaient que virtuellement présents.

Cette séquence s’actualise aussi dans son double « noir » : le jour de l’armistice, la lavandière vêtue de noir rentre chez elle croyant que son plus jeune fils va revenir ; au moment où elle sort ses habits civils d’un grand coffre placé sous la fenêtre, on voit s’approcher le facteur avec une lettre bordée de noir qui annonce la mort du fils ; la mère rabat alors le couvercle sur les vêtements du nouveau mort et s’effondre sur le coffre devenu cercueil.

L’actualisation du virtuel se fait par la constitution d’une série : plans sur l’armoire, les tiroirs, les coffres multiples qui deviennent des dépôts des vêtements des morts et des indices des corps définitivement absents, des avatars de cercueils. Autre piste noire de ce film en noir et blanc, celle des croix du cimetière, des personnages filmés à contre-jour ou précédés de leur ombre,  des enveloppes bordées de noir, du chat noir qui hante le village… autant d’icônes indicielles symboliques et partiellement autoreprésentatives accomplissant le mélodrame.

 

 


Une Famille à tiroirs, 1.

Baroque 

L'Ombre d'un double


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