FIGURES
I - Folie et rhétorique :
Tesauro écrit : « La
démence n’est rien d’autre, à proprement parler, que la faculté de changer une
chose «en une autre » [1] ;
la folie rejoint ainsi les jeux du masque et du déguisement, de la ressemblance
et de la différence, du même et de l’autre ; sa « fonction
déguisante »[2]
crée un espace analogue à celui de la métaphore dans le fil du discours.
Cette fonction poétique peut être
complétée par un rapprochement avec l’autre figure privilégiée de l’époque
baroque: l’hyperbole ; concevoir le
monologue du fou comme une vaste hyperbole « filée » est aussi justifié que de le ranger parmi les
jeux des identités perdues et réversibles ; la folie étant l’exagération
de la souffrance et du malheur, « souffrir les tourments de
l’Enfer », devient être aux enfers ; cette transgression
s’accompagne d’une floraison de détails descriptifs, l’hyperbole devient un texte
sur l’enfer.
De telles définitions sont limitées,
imagées, en quelque sorte ; mais le monologue des fous de théâtre, à cause
de sa fréquence, de sa longueur, de son outrance, des ses limites (entre un
frisson et un évanouissement), de ses thèmes dénombrables (si Henri Faure[3]
remarque s’en psychiatrie : « Dans le dédale des mondes
imaginaires, la séméiologie descriptive traditionnelle, depuis plus d’un
siècle, n’a décelé somme toute qu’un nombre de thèmes relativement
restreint », il en est de même pour les mondes imaginaires de la
fiction théâtrale, et ceci resserre l’unité de la « figure ») peut
être considéré comme une figure : l’ensemble des signes théâtraux
obligatoires de la folie ; le contenu du discours des fous est
invraisemblable, mais il est vraisemblable qu’ils parlent ainsi, pour
manifester leur folie, sur la scène du théâtre baroque.
Les signes abondants et obligatoires
de la folie pourraient être classés dans la troisième partie de la rhétorique,
qu’est l’ inventio, l’art de trouver des arguments, la rhétorique du
contenu , culminant dans la topique ou répertoire des thèmes ; la
description remplace sa simple désignation , et si l’on se souvient que
le critère classique servant au « repérage » des figures est la
« traductibilité » (il y a figure lorsqu’on peut remplacer un élément
– ou un ensemble d’éléments – par un autre), rien ne nous empêche de considérer
la folie comme une figure de la rhétorique théâtrale baroque ; le folie
d’Oreste (la dizaine de vers qui lui est consacrée) peut être considérée comme
une des lexicalisations de la figure, résumé allusif des grands monologues du
théâtre baroque, mais permanence des thèmes, des signes de la folie se faisant
reconnaître.
Précisons ceci en retrouvant la
fonction spectaculaire de la folie, l’effet sur le spectateur (et en continuant
à nous aider de l’exemple de la rhétorique classique) ; Roland Barthes
écrit[4] :
« La description réaliste[5]
évite de se laisser entraîner dans une activité fantasmatique (précaution que
l’on croyait nécessaire à l’ « objectivité » de la relation) ;
la Rhétorique classique avait en quelque sorte institutionnalisé le fantasme
sous le nom d’une figure particulière, l’hypotypose, chargée de « mettre
les choses sous les yeux des auditeurs », non point d’une façon neutre,
constative, mais en laissant à la représentation tout l’éclat du désir (cela
faisait partie du discours vivement éclairé , aux cernes colorés :
l’Illustrès Oratio). » Pour le spectateur du théâtre baroque,
le monologue du fou fait alterner les visions d’ombre et de lumière, accumule
les objets macabres et les formes agressives : ce ne sont que
« pointes de feu », « traits de flammes », « rocher de
flamme », « roc épouvantable », « fleuve de sang »,
accompagnés de « murmures confus » : le chaos de la conscience
est celui de l’univers :
« Les astres déréglés pêle-mêle
descendent
Leur clarté s’obscurcit et leurs
globes se fendent »[6]
[1] Cité par
Hocke dans son livre : Le Labyrinthe de l’art fantastique, p. 83.
[2] Selon
l’expression de J . Rousset, La Littérature de l’âge baroque, p.
187.
[3] Les
Investissements d’objets dans le vécu psychotique, Tome I : Hallucinations
et réalité perceptive, p. 2.
[4] L’Effet
de réel, Communications, 11, Le Vraisemblable.
[5] ( au
sens « flaubertien » du mot).
[6] Crisante,
Tragédie de Rotrou.
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