« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Folie dans le théâtre baroque français. 11.

 



IV – Appendice : les métaphores spatiales et l’expression de la maladie :




 « Borage and Hellebor filled two scenes ;

    Sovereign plants to purge the veins

    Of Melancoly, and cheer the Heart

 Of those black fumes which make it smart ;

    To clean the brain of misty fogs,

    Which dull our senses, and soul elogs.

    The best medecine that e'e God made,

    For this malady, if well assay’d. »


                          Robert Burton,   The Anatomy of Melancholy[1].


 


         L’ étude qui suit n’étant pas systématique, la forme anthologique est ici la plus satisfaisante. Quelques vers de Mélite suffisent à ébaucher le statut de la folie dans le théâtre baroque : être fou c’est être brutalement (« violenter sa raison et ses sens… ») séparé de soi-même (« Ne pas demeurer à soi ») :


  « Prends pitié d’un esprit égaré

   Qu’ont mes vives douleurs d’avec moi séparé… ».


         L’emploi de métaphores spatiales est constant : Eraste « entre en folie », écrit Corneille dans l’Examen de la pièce ; et il ajoute : « il est remis dans son bon sens », « cet acte retire Eraste de folie ».


         La nourrice s’exprime ainsi :


                   « Monsieur, rentrez en vous… »,


         Et Cliton :


     « Eraste, cher ami, quelle mélancolie

     Te met dans le cerveau cet excès de folie. »


         La raison chancelante et abandonnée s’égare comme dans un labyrinthe[2] ; son parcours a besoin d’un guide :


        « Et ma faible raison de guide dépourvue

          Va de nouveau se perdre en te perdant de vue. »


         Les sens sont séduits par leurs propres productions :


       « Votre douleur vous trouble et forme des nuages

         Qui séduisent vos sens par de fausses images ;

         Cet enfer, ces combats, ne sont qu’illusions. »


Signalons aussi la variété du vocabulaire qu’emploie « autrui » (les gens sensés sur le théâtre) pour désigner la folie : mélancolie, frénésie, fureur, furie, rage, ardeur, caprice, manie, fantaisie, ennui, confusion, aveuglement, charme, enchantement, rêverie ; ce ne sont pas des synonymes mais ils ne sont pas, sur la scène, systématiquement employés dans le sens « clinique », relativement précis, qu’ils avaient au début du XVIIème siècle.



[1] The Argument of the Frontispiece.

[2] Le labyrinthe est l’évidente figure de l’égarement. La forme la plus noire et la plus épouvantable du Dédale est l’enfer lui-même : les deux figures se superposent, l’enfer devient labyrinthe et le labyrinthe, infernal :

                « Captif du labyrinthe aux inconnus détours,

                Où l’infernale nuit se rencontre toujours » Ariane ravie, Hardy, I. 1.


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