II. Fictions :
-Le théâtre et le monde :
faire du monde un vaste théâtre est
une tentation aussi constante que celle qui consiste à faire du théâtre un
abrégé du monde. Si le théâtre reproduit le monde, si l’illusion du double est
entretenue à plaisir, la folie des uns est la folie des autres[1] ;
le spectateur voit dans le dément un de ses doubles possibles, maladroit,
déchirant, risible aussi. Mais ce double possible reste trop spectaculaire et
exceptionnel et l’illusion, pour se développer, a besoin d’une folie plus
imperceptible : mélancolie, angoisse, incertitude.
-La peur :
il y a dans deux des premières pièces
de Corneille des scènes d’emprisonnement à peu près identiques ; cette
circonstance particulière fait naître l’angoisse, l’impression
d’irréalité :
« Peu s’en faut, dans l’excès de
ma confusion
Que je prenne tout pour une illusion…
…
mon âme innocente
Dément tous les objets que mon œil
lui présente. »
(Clitandre,
III, 3).
Et aussi la terreur :
« Je vois le lieu fatal où ma
mort se prépare
Là mon esprit se trouble et ma raison
s’égare…
…Et la peur de la mort me fait déjà
mourir. »
(L’Illusion comique, IV, 7).
Le
monde est un chaos et le défaut de discernement n’engendre que la terreur ou
l’extravagance :
« Sans conseil, sans raison,
pareil aux matelots
Qu’un naufrage abandonne à la merci
des flots
Je me suis pris à tout ne sachant où
me prendre. »
( ?)
Les expériences de l’égarement
révèlent que le monde reproduit sur la scène du théâtre est un vaste théâtre
dont la règle du jeu est incertaine.
-L’extravagance :
dans le dédale des premières pièces
de Corneille, les personnages errent, inconstants et incertains ;
l’extravagance involontaire et calculée ouvre un espace de jeu (au
système : théâtre-monde-théâtre, correspond le système :
comédien-personnage-comédien) ; pour l’amoureux de La Place royale,
l’extravagance est au service d’une victoire sur soi-même : Alidor aime et
est aimé mais fait tout pour décourager cet amour et reconquérir sa
liberté :
« Je suis libre à présent
qu’elle est désabusée
Et je l’abusais que pour le
devenir » (V,
8).
La folie et l’extravagance
interviennent dans la définition de deux rapports (qui ne se recoupent
pas) entre l’homme et le monde : si
le premier en est la « science »
(l’homme et le monde sont composés des mêmes éléments et le tout s’ordonne par
la vertu d’un acte de parole qui harmonise les signes et les principes),
celui-ci en est le « roman » : le comédien sur le théâtre est
l’image « en abyme » de l’homme dans le monde – le théâtre est
l’abrégé du théâtre du monde – leur
errance est la même, leurs folies sont équivalentes.
III-
Baroque :
Phrase de rappel où pourraient être regroupées des significations que nous préférons laisser éparses ( et que nous allons d’ailleurs parcourir dans un autre ordre) : l’irrégularité concertée, l’invention des formes et leur thésaurisation, le désordre immédiat et la simplicité seconde, la réalité et la fiction, l’analogie et la différence.
[1]
Prolongeons cette réflexion dans un sens différent en citant des extraits du
Prologue de la « Comédie des comédiens » de Scudéry :
« Je ne veux point être fol par
compagnie : je ne saurais me résoudre à tromper tant d’honnête gens, comme
je vois qu’il y en a un ici. Je ne sais
(Messieurs) quelle extravagance est aujourd’hui celle de mes compagnons,
mais si elle est bien grande, que je suis forcé de croire que quelque charme
leur dérobe la raison… Ils veulent me persuader que je ne suis point sur un
théâtre ; ils disent que c’est ici la ville de Lyon… où des comédiens qui
ne sont point nous, et lesquels nous sommes pourtant, représentent une
pastorale… sans partit de Paris, ils prétendent vous faire passer pur des
habitants de Lyon…ils disent que je suis un certain monsieur de Blandimare,
bien que je m’appelle véritablement Mondory. »
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