« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Folie dans le théâtre baroque français. 13.

 



II. Fictions :


-Le théâtre et le monde : 


faire du monde un vaste théâtre est une tentation aussi constante que celle qui consiste à faire du théâtre un abrégé du monde. Si le théâtre reproduit le monde, si l’illusion du double est entretenue à plaisir, la folie des uns est la folie des autres[1] ; le spectateur voit dans le dément un de ses doubles possibles, maladroit, déchirant, risible aussi. Mais ce double possible reste trop spectaculaire et exceptionnel et l’illusion, pour se développer, a besoin d’une folie plus imperceptible : mélancolie, angoisse, incertitude.


-La peur : 


il y a dans deux des premières pièces de Corneille des scènes d’emprisonnement à peu près identiques ; cette circonstance particulière fait naître l’angoisse, l’impression d’irréalité :


« Peu s’en faut, dans l’excès de ma confusion

Que je prenne tout pour une illusion…

                            … mon âme innocente

Dément tous les objets que mon œil lui présente. »

                                               (Clitandre, III, 3).


Et aussi la terreur :


« Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare

Là mon esprit se trouble et ma raison s’égare…

…Et la peur de la mort me fait déjà mourir. »

                                               (L’Illusion comique, IV, 7).


         Le monde est un chaos et le défaut de discernement n’engendre que la terreur ou l’extravagance :


« Sans conseil, sans raison, pareil aux matelots

Qu’un naufrage abandonne à la merci des flots

Je me suis pris à tout ne sachant où me prendre. »

                                               ( ?)


Les expériences de l’égarement révèlent que le monde reproduit sur la scène du théâtre est un vaste théâtre dont la règle du jeu est incertaine.


-L’extravagance : 



dans le dédale des premières pièces de Corneille, les personnages errent, inconstants et incertains ; l’extravagance involontaire et calculée ouvre un espace de jeu (au système : théâtre-monde-théâtre, correspond le système : comédien-personnage-comédien) ; pour l’amoureux de La Place royale, l’extravagance est au service d’une victoire sur soi-même : Alidor aime et est aimé mais fait tout pour décourager cet amour et reconquérir sa liberté :


« Je suis libre à présent qu’elle est désabusée

Et je l’abusais que pour le devenir » (V, 8).


La folie et l’extravagance interviennent dans la définition de deux rapports (qui ne se recoupent pas)  entre l’homme et le monde : si le premier en est  la « science » (l’homme et le monde sont composés des mêmes éléments et le tout s’ordonne par la vertu d’un acte de parole qui harmonise les signes et les principes), celui-ci en est le « roman » : le comédien sur le théâtre est l’image « en abyme » de l’homme dans le monde – le théâtre est l’abrégé du théâtre du  monde – leur errance est la même, leurs folies sont équivalentes.


III-                  Baroque :


Phrase de rappel où pourraient être regroupées des significations que nous préférons laisser éparses ( et que nous allons d’ailleurs parcourir dans un autre ordre) : l’irrégularité concertée, l’invention des formes et leur thésaurisation, le désordre immédiat et la simplicité seconde, la réalité et la fiction, l’analogie et la différence.


Suite

Début

Baroque 

 

 



[1] Prolongeons cette réflexion dans un sens différent en citant des extraits du Prologue de la « Comédie des comédiens » de Scudéry :

                « Je ne veux point être fol par compagnie : je ne saurais me résoudre à tromper tant d’honnête gens, comme je vois qu’il y en a un ici. Je ne sais  (Messieurs) quelle extravagance est aujourd’hui celle de mes compagnons, mais si elle est bien grande, que je suis forcé de croire que quelque charme leur dérobe la raison… Ils veulent me persuader que je ne suis point sur un théâtre ; ils disent que c’est ici la ville de Lyon… où des comédiens qui ne sont point nous, et lesquels nous sommes pourtant, représentent une pastorale… sans partit de Paris, ils prétendent vous faire passer pur des habitants de Lyon…ils disent que je suis un certain monsieur de Blandimare, bien que je m’appelle véritablement Mondory. »

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