Intermède 10
C’est d’abord une question d’angle, de point de vue : il a suffi de lever les yeux du livre en cours de lecture, depuis un endroit inhabituel (le petit fauteuil près des rayonnages) pour, soudain, voir comme on ne l’avait jamais vue la pièce un peu pompeusement appelée bibliothèque - ou bureau, pour que l’ordonnancement pourtant connu de l’espace prenne une signification nouvelle : une symétrie inaperçue surgit dans le face à face entre la chaise d’un côté et le fauteuil de vieux cuir de l’autre, au-delà de la table de travail, préparant en creux un dialogue dont seule la disposition des places aurait été réglée, arrangement auquel s’ajoute le dédoublement des fenêtres, l’une aux volets fixés en oblique oblitérant la vue et l’autre donnant sur les palmiers immobiles pris dans la lumière indécise de ce jour gris d’avant-printemps.
Que se passe-t-il ? Le lieu, pourtant, n’a rien perdu de sa familiarité, il semble simplement appeler quelque chose, manquer de quelque chose qui le redéfinirait, signaler en creux à la perception attentive au changement, un complément possible qui serait la clé de cette énigme soudaine.
Le lieu ainsi perçu suscite une scène, un plateau : ce n’est pas du « déjà vu» (c’est le contraire, on l’a dit), c’est du déjà là : le livre de cinéma que l’on était en train de lire semble informer la vision, révéler un décor qui double la pièce.
Mais ce plan possible d’un film virtuel ne s’actualisera pas : il restera l’indice d’une surimpression rêvée : espace sur espace comme de l’eau dans l’eau…
Ce n’est qu’un tremblement qui à la fois associe et dissocie. C’est déjà là, «dans les choses », mais à jamais ailleurs.
Les Méprises savantes
le Loup, sa gueule, sa garce (Intermède 11)
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