III. L’emblème, métaphore
par analogie d’objets :
« Métaphore »
est le terme le plus généralement employé pour définir l’emblème ; il est
vrai que l’emblème institue un rapport permanent de similarité, mais variable
et spécifique.
Spécifique,
parce qu’il dépende de la réalisation concrète de la figure, variable parce que
similarité et effet de syllepse sont dans
une relation proportionnelle ; plus l’analogie immédiate est forte, plus
l’effet de syllepse est faible ; plus l’analogie immédiate est faible,
plus l’effet de syllepse est fort. Il est plus fort pour la photographie que
pour le miroir, pour le miroir que pour la vitre; de même, l’effet de syllepse
est plus fort dans le rapport entre le sport d’équipe et le cinéma, que dans le
rapport entre le théâtre et le cinéma. Cette règle explique que le film dans le
film, le cinéma filmant, soit parfois aussi décevant : plus l’emblème tend
vers l’explicitation de sa référence, plus l’effet de syllepse tend à
s’atténuer ; c’est l’écart qui
garantit sa complexité active. Des dispositifs d’insertion (déplacement,
télescopage) et de soulignement (insistance, répétition), c’est-à-dire des
formes de la contiguïté,
garantissent la validité maximum de cet écart et fixent des limites à
l’analyse.
Dans
la figuration d’objets, la question se simplifie, l’analogie intervient plus
ponctuellement et donc plus purement. C’est pourquoi nous réservons le nom de
syllepse métaphorique à l’analogie d’objets, en continuant à appliquer notre
critère de départ : le type de lien par lequel l’analogie s’incarne.
La
plupart des exemples classiques d’emblèmes se limitent généralement aux objets
et à leur valeur métaphorique. Or les films que nous analysons font peu de
place aux objets ; l’interaction individuelle domine ; ce n’est pas
un cinéma de la métaphore mais du constat -les exemples sont donc rares.
L’objet filmé est un emblème s’il renvoie au
dispositif cinématographique. Les phares de la voiture du père dans Passe ton bac d’abord, sont analogues aux projecteurs d’un tournage
nocturne ; l’échelle dressée devant les draps dans le plan du grenier dans
La Gueule ouverte, est la possible représentation de
la pellicule à l’arrêt, le métro aérien roulant dans la nuit au fond de la
ruelle de Loulou, en est la représentation en
mouvement. Cette image du défilement est depuis longtemps repérée et
théorisée ; dans La Nuit américaine, Ferrand,
le réalisateur joué par François Truffaut, déclare à Alphonse (Jean-Pierre
Léaud) : « Il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a
pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends, comme
des trains dans la nuit. »[1]
Mais, dans
les films de Pialat, cela reste indicatif. Ce sont les plans du métro aérien de
Prénom Carmen qui fonctionnent vraiment comme
emblèmes ; c’est, pour prendre un exemple dans un cinéma plus classique,
la lampe du psychiatre dans La Féline, de
Jacques Tourneur, dont le faisceau lumineux isole de l’ombre le visage extasié
de Simone Simon, qui est désignée comme emblème ; de même, toujours dans La féline, les tables lumineuses de l’atelier d’architecture,
dans la pièce par ailleurs obscure, comme autant d’écrans vides, renvoient
hors-champ, par une audacieuse ellipse, la terrifiante panthère noire.
Même
le mixer brisé, lors de la scène de ménage de Passe ton bac d’abord, bien que
souligné par un des très rares « inserts » de ces films, n’est
affecté que d’un très faible coefficient emblématique ; un lien, très
ténu, renverrait au film ayant volé en éclats.
Un élément
architectural du décor de la première partie de L’Enfance nue, constitue
toutefois un contre-exemple : la rampe de bois peint bordant le pallier du
premier étage , où est installé le lit de François ; le dialogue, déjà,
attire l’attention du spectateur sur ce lieu ; lors de sa visite, le
directeur de l’A.D.A.S.S. demande : « Et, François, il dort
toujours sur le palier ? ». L’effet d’insistance est complété par
le cadrage, la repise (dans deux plans), la durée (plans assez longs; décadrés
par rapport aux personnages ou qui persistent après sa sortie du champ).
Cette
insistance fait de la rampe un emblème : on associe la ligne brisée, à trois éléments, au parcours hasardeux de la vie
de François : zig-zag, déplacements, bifurcations imposées. Mais
l’analogie se prolonge jusqu’à la construction du film lui-même : une
chronique elliptique, avançant par à-coups, par tournants brusques ; le
mode de raccord, de raccordement entre les trois parties du film, est
emblématisé. La géométrie architecturale renvoie à l’algèbre cinématographique,
à ses inconnues, à ses ellipses…[2]
[1] - La Nuit américaine, Scénario du
film, Cinéma 2000, Seghers, p. 121.
[2]
- Gilles Deleuze fait de la ligne brisée un des cinq éléments de la crise de « l’image-action » :
« Ce qui a cassé, c’est la ligne ou la fibre d’univers qui prolongeait les
événements les uns dans les autres, ou assurait le raccordement des portions
d’espace », L’Image-Mouvement, Cinéma 1, p. 279 .
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