C. le
code, le cinéma, le film :
Les
théorisations de François Regnault et de Solange Brun, bien que d’orientations
différentes (glissement de l’emblématique a symbolique pour le premier,
réduction de l’auto-représentation à l’exhibition technologique pour la
deuxième), opèrent toutes deux une réduction de la notion de
« code » ; le passage de la quantité à la qualité est manqué.
1) Code et paramètres techniques :
Cette distinction est clairement
établie par Alain Bergala[1]
qui insiste sur l’importance du choix par rapport à une double inertie :
celle du dispositif technique, celle des possibilités objectives des moyens
stylistiques : « Le réalisateur n’est jamais en face d’un choix
absolu où seraient également disponibles toutes les possibilités techniquement
ouvertes per les paramètres sur lesquels il a prise. C’est qu’il existe une
culture audio-visuelle, des milliers de films, de romans-photos, de bandes
dessinées qui ont imposé historiquement (pour des raisons essentiellement
idéologiques) un certain type et un certain mode de récit iconique, qui s’est
inscrit peu à peu comme modèle dominant, comme code de la narrativité iconique…
Le moment du code, c’est le moment de la culture et de la société dans le
langage, c’est le moment où les choix ne se posent plus par rapport à la
panoplie objective des paramètres… mais se réduisent à un paradigme de quelques
choix possibles réellement inscrits dans le langage, marqués par leur retour,
leur répétition, leur reprise, dans l’ensemble des textes qui constituent, à un
moment donné, l’état historique de ce langage. »
Définir ainsi le code permet de
situer l’emblème (comme renvoie du message au code) au cœur d’un ensemble des
choix esthétiques et au cœur même d’une histoire du cinéma. La pertinence de
l’emblème et de ce que nous avons appelé sa force de frayage, se trouvent réactivées
par les effets du code, comme variation d’un mode de représentation dominant.
Non seulement l’emblème ne peut s’analyser que pris dans le réseau d’un type
de cinéma, mais les choix esthétiques du réalisateur suscitent leurs
propres emblèmes ; le cinéma de Pialat privilégie les problèmes du plateau
(de tournage), de l’équipe (de tournage) et du montage : les processus
cinématographiques actifs (la naissance de l’acteur, les avatars de la
présence, la recherche de l’image au-delà du cliché). Héritage de Pagnol, de
Rossellini et de la Nouvelle Vague, ces figures emblématiques sont à l’opposé
de celles d’Hitchcock -emblèmes du studio, de l’artifice, du spectateur abusé ou du créateur
paranoïaque, que la traversée des apparences (la pellicule, telle la peau morte
d’une mue) doit ramener à la Raison. Hitchcock travaillait sur une certaine
réification de l’image, pour que l’Idée triomphe. Pialat travaille sur
l’incarnation inaboutie ou forcée, sous le régime général d’une crise du
réalisme.
2)Le cinéma, le
film :
Il n’y
aurait donc, quant à l’emblème, de jugement de valeur que relatif,
circonstancié par l’état de marche du code, sa spécification dans le film.
Le
dégagement de l’emblème se fonde sur un effet d’insistance (la rampe), de récurrence
(le miroir), de soulignement (la place dans le film) ; si nous reprenons
la continuité de L’Enfance nue, le défilé, le miroir, la rampe se
renforcent mutuellement. Les grandes figures du sport, du théâtre, sont autant
plus significatives quelles se trouvent au début de Passe ton bac d’abord
et d’ A nos amours (on connaît l’importance, en littérature, de
l’incipit). L’emblème fondateur, générateur, est inséparable d’un réseau de
significations surajoutées qui en sont, partiellement, le développement.
Placé sous
le signe de la maladie mortelle, le film La Gueule ouverte, lors de
scènes de l’hôpital, au début, fait coexister dans le même plan, l’image d’un
sous-bois rayonnant couvrant le mur de la salle d’examens et, au premier plan,
le cadre numéroté de l’appareil de radiologie : le personnage s’intercale
entre les deux. Cet échelonnement d’images situe l’ensemble du film :
l’envers physiologique du réalisme poétique, le roman d’une momie cancéreuse.
De même, un indice
de fin ajoute ou donne au plan un sens emblématique : c’est le cas
pour les deux derniers plans de La Gueule ouverte.
Soit les deux derniers plans du
film :
-
Un
long plan-séquence, un travelling arrière tourné en voiture, correspondant au
départ du personnage principal quittant le village d’Auvergne après la mort de
sa mère ; c’est une « vue » : un travelling à partir d’un
véhicule en mouvement (le procédé est repris, mais fragmenté et en travelling
avant, au générique d’A nos amours).
-
Un
plan-séquence du père resté seul et éteignant une à une les lumières de son
magasin, jusqu’à l’obscurité totale.
Si l’avant-dernier plan, par syllepse
métonymique (le mouvement arrière pour la fin du film), désigne à la fois
l’éloignement du personnage er celui du spectateur[2],
le dernier plan a une valeur emblématique plus forte ; il dénote la
solitude du père, le début du deuil ; il connote la suppression de la
condition même de toute image : l’éclairage. On passe du symbole (le père
seul dans le magasin obscur), à l’emblème par métonymie. Le plan s’arrête
lorsque tous les projecteurs sont éteints et que l’écran s’obscurcit
complètement. Dans une séquence de Faubourg Saint-Martin, de Jean-Claude
Guiguet, Patachou éteint une à une les lampes du bar restaurant de son hôtel,
comme l’ opérateur dans un décor ; l’effet d’obscurité sert à un
montage par contraste : le plan suivant est un plan de mer, éblouissant.
[1] - op. cit., pp. 11-13.
[2] - François Truffaut, dans un plan de La
Peau douce, joue sur la coïncidence entre le dialogue et le mouvement de
caméra, ce qi crée un court-circuit : « trop tard pour revenir en
arrière », dit un personnage pendant un travelling arrière…
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