« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

"Ad Astra", une épopée spatiale introspective. 3.

 


3 -  L’autoreprésentation :

il y a dans ce film une généralisation de ce que j’appelle : emblèmes autoreprésentatifs ; on assigne à des éléments du film une fonction, une valeur de représentation du cinéma lui-même (similarité assignée), par lui-même, sons et images ; par exemple, la multiplication des connexions audio-visuelles fait que le Cépheus devient l’emblème global, l’auto-représentation exhaustive d’un studio d’enregistrement de l’image et du son. 

Multiples reflets, sur les casques et les visières[1], hublots comme des yeux : images courbes, projections, images d’écrans sur l’écran, en lien avec le genre : « spectrogrammes de Neptune » sur l’écran d’une tablette, jusqu’à la coïncidence des écrans : superposition des visages du père et du fils par l’intermédiaire de la tablette de verre, superposition qui, en plus de sa valeur symbolique ponctuelle, crée, sous nos yeux une image cristalline[2]: actualisation de l’image virtuelle du père sur l’image du fils, virtualisation de l’image actuelle du fils sous l’image du père, imbrication conjecturale de l’actuel et du virtuel, de la présence et de l’absence…

-      D’un point de vue technique, on pourrait dire qu’il y a une emblématisation du procédé de la « surimpression » -

Une structure cristalline d’un autre ordre compose le sol de l’élément de la station Lima où se tient le père, vu en transparence et en contre-plongée par le fils : des triangles de verre assemblés, « sertis », pourrait-on dire…, parois d’un cristal virtuel,  au travers desquels l’image du père s’ « actualise » enfin et celle du fils se virtualise ( « C’est toi, Roy ? », demande le père) jusqu’au face à face « en miroir » entre le père et le fils et leur « actualisation » réciproque de leurs images.

 Le dialogue, parfois, joue aussi une fonction analogue :  Roy dit par exemple : « Je suis en représentation » : psychologie, mais aussi esthétique, une fois de plus ; référence à un narcissisme à tendance autiste, et référence au cinéma comme art de la représentation.

Les séquences des « salons de détente » emblématisent le procédé de la « transparence », mise en évidence d’un ancien procédé de tournage en studio, superposition artificielle de la figure et du fond : faire croire qu’un personnage est dans un champ de fleurs ou sous la mer.

Valeur emblématique partielle de certaines déclarations, derrière l’écran, il n’y a rien : « …des mondes d’une beauté, d’une majesté qui inspirent respect  et émerveillement, mais sous leur surface sublime, il n’y avait rien… ».  



[1]  Reflet sur la visière : couverture d’un exemplaire de « National géographic », « Y-a-t-il quelqu’un là-bas ? Yes, yes, yes », a noté le père.   

 

[2] Au chapitre 4 de Cinéma 2, l’Image-temps, intitulé Les Cristaux de temps, Gilles Deleuze écrit : « … l’image actuelle a elle-même une image virtuelle qui lui correspond comme un double ou un reflet […] il y a « coalescence » entre les deux. Il y a formation d’une image biface, actuelle et virtuelle […] ‘image optique actuelle cristallise avec sa propre image virtuelle […] c’est une image cristal […] c’est un envers et un endroit parfaitement réversibles. Ce sont des « images  mutuelles », comme dit Bachelard, où s’opère un échange. »

Gilles Deleuze, Cinéma 2, L’Image-temps, Les Editions de Minuit, Paris 1985, pp.92-94.

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