« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

"Il manque un morceau vert au-dessus du rêveur..." épisode 16 e

Pourquoi, d’ailleurs, ne pas mettre la phrase entière, tout simplement? Peut-être parce qu’elle est assez longue et en italien. Elle intéresse pourtant un grand nombre de ces propos; la solution serait de l’introduire par bribes traduites au fur et à mesure… d’abord:

« Una barca di pietra »

(Une barque de pierre…), qui renvoie à la grande série des barques rouges ou noires, défaites ou composites ; puis:

« la barca feacica »

(la barque phéacienne), parallèle à la barque égyptienne du docteur Freud, ici, barque du héros

(« l’eroe punito »:

le héros puni…), là, barque mortuaire ; ensuite:

« che in pietra si muta la barca »

(qu’en pierre se change la barque…), mutation qui croise les boues rouges du Tarn déposées à chaque inondation et durcissant couche après couche, sédiments devenant gangue minérale et changeant peut-être, dans la durée, la matière elle-même, les éléments de bois disjoints se métamorphosant en blocs de grenat dans la pénombre. L’auteur italien ajoute que la barque s’est soudée au fond pour empêcher le retour malheureux du héros. Pour l’enfant qu’il était, c’était l’aller et non le retour qui rapprochait du malheur et la barque collée au sol par le limon séché, à peine visible dans l’obscurité de la cave, était un avatar de la catastrophe passée que la fuite vers le fond de la ruelle, au-delà de la porte qui ne fermait plus par laquelle tombait un rais de lumière sourde sur l’esquif pétrifié, éloignait. Le retour de l’enfant, seul sur la banquette arrière de la voiture, restait marqué de ces signes sombres mais comme un obstacle franchi et non comme un drame à venir.
Dérivation
C’est comme si le

« O »

final du mot

écho

envoyait, par mimétisme, ses prolongements :

« O »

s’isole d’abord puis redouble d’effet :

« Oh, la photo !... ».

C’est dans la cour de récréation, entre enfants qui jouent et la petite fille, avec d’autres, est maintenant assise au bord du préau, genoux pliés et cuisses écartées : la jupe et la blouse d’écolière tendues dans cet écart qui découvre la bande blanche du tissu de coton de sa culotte, blancheur dans l’ombre, dispositif d’exposition involontaire et montage d’éléments et de formes construisant un habitacle ouvert, un pavillon de toile, une perspective offerte aux regards, un encadrement avec lignes de fuite et réserve au centre du tableau. L’exclamation, formulée par l’une de ses compagnes de jeu du même âge environ, est générique : c’est un cliché, n’en doutons pas, une moquerie face à cette indécence spontanée et distraite : et photo, ici, étonne : qu’est-ce à dire ? un révélateur, d’abord ? une pose, aussi ? l’image transposée du dispositif du vieux photographe ambulant qui, pour photographier les élèves s’enfouissait encore dans l’abri noir du tissu tendu autour de l’appareil pour qu’aucun jour ne filtre dans ce secret que seule percevait sa tête encapuchonnée, œil collé à ce trou lumineux de l’objectif dévoilé ? l’exposition aux regards rapidement annulée par l’exclamation qui fait se refermer les jambes et rire le groupe : ce déclenchement par le regard d’autrui d’une prise d’image qui ne dure qu’un instant et se défait dès l’avertissement lancé, comme la classe se détend et s’éparpille après la pose ordonnée par le photographe… quoi qu’il en soit (et sans doute ne le saura-t-on jamais), le mot photo déclenche l’hilarité et la confusion et cette intimité exhibée et indûment perçue par l’œil déclencheur qui isole l’image de l’ensemble des attitudes, des jeux, des enfants, de la cour et du monde, cette fixation enfantine d’amateur amusé, se métamorphose dans le temps (longtemps après, et l’enfance est si loin) dans la vision fugitive, un dimanche après-midi, au jardin de la Garonne, de cette femme couchée sur le dos dans l’herbe, près de ses amis : sa jupe est tendue par ses jambes écartées, genoux pliés et, de l’allée de gravier qui traverse la parc, les promeneurs peuvent associer ce spectacle à la série de photos géantes, en noir et blanc, montées deux à deux, fixées sur le vieux mur d’enceinte restauré de la ville, qui borde le jardin public, de ce côté-là.
Dérivation

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