La configuration du terrain a été lentement modifiée : deux terrasses ont été creusées dans la pente en partie cachée par les longues branches en arceaux des noisetiers et le mur aux trois-quarts enterré a été dégagé ; la terre récupérée a servi à étoffer le passage le long de la grange, jusqu’à constituer un terrain plat de quelques mètres de large surplombant le pré ; les pierres les plus grosses ont roulé jusqu’au bas du talus ainsi formé ; pendant des années, régulièrement, des portions brunes de terre encore humide ont maculé les zones déjà vertes et fleuries. Les arbres produisent de plus en plus de bois mort, surtout les bouleaux ; la branche perd de sa flexibilité, vire au noir et parfois cède sous la force du vent ou le poids de la neige ; une autre, sous la torsion de la main, se casse avec un bruit sec. A l’extrémité d’une branche souple, là où les ramifications se multiplient et s’affinent, dressée au-dessus du vide, une ultime brindille présente quelques anomalies : la blancheur nacrée striée de brun de l’écorce de bouleau semble scrupuleusement respectée, pourtant la jeune pousse qu’elle prolonge en biais n’est pas encore couverte, elle, de cette pelure translucide et chinée ; les nuances du tronc ou du départ épaissi de la branche porteuse semblent indûment déléguées, par quelque aberration temporelle, à cette pointe ; puis elle est grossie de bourrelets inadaptés à la sveltesse adjacente et prolongés de petits crochets incongrus ; sa fin est une calotte foncée munie d’yeux. Une pression du doigt la fait se plier, comme cassée en deux, mais elle reprend aussitôt sa rectitude impeccable de chenille mimétique. Dérivation.
La longue quête nocturne d’une chambre se termine à l’hôtel
« Les Quatre Vents »
à Sestri Levante, au bord de la mer ; les pensionnaires bénéficient d’un carré de plage délimité par des cordages montés sur des piquets métalliques et, à l’intérieur de ce parc, d’un parasol de toile bleue contre le manche duquel sont appuyées deux chiliennes de la même toile, pour le moment couchées et pliées ; le sol de sable, exempt de cailloux, a été ratissé. Le galet est petit et vert, irrégulier de forme et de volume ; son fond obscur est constellé de lunes plus claires en léger relief qui se chevauchent parfois jusqu’à former des amas, opérer des fusions, globules dont le lent mouvement a été fixé dans la gangue foncée et semble-t-il moins résistante que ces capsules dont le noyau central présente une troisième nuance (intermédiaire) de vert, cellules agrandies, parfois étirées en ovales approximatifs, visibles à l’œil nu, de tissus durcis et cassés puis lentement usés par les flots. Les variétés de ces échantillons semblent infinies, soit que les dégradés de vert se différencient encore, au hasard des amalgames, soit que le contact avec d’autres types de roches ait produit des altérations de proximité dans les nuances et dans les formes, soit que le tracé de veines hétérogènes ait perturbé puis remplacé le fouillis des satellites incrustés. A droite de la plage, deux bateaux émergés rouillent près d’un hangar abandonné et diverses pièces métalliques inutilisables traînent ; sur la gauche, les à-pics des falaises se prolongent par un îlot pointu cerclé de roches acérées, supplément sauvage de ce bout du monde composite et désordonné. Un nouveau caillou verdâtre se colore soudain d’un rouge foncé, choc qui en fait presque un morceau de marbre de Campan.
Tubulures coudées dynamiques : elles se constituent peu à peu à partir d’un point imprévisible et se développent en trois dimensions, selon l’illusion représentative bien connue. Le tracé est rapide et chaque fois différent ; il faudrait sans doute une très vaste expérience pour commencer à trouver des lois à ces inscriptions variables qui, pourtant, ont été programmées. Une seule couleur est employée d’abord ; le changement se fait imperceptiblement, le logiciel activant un point dans le fouillis des lignes de fuite pour opérer la mutation, à l’endroit ou le tube retors est le plus fin et le plus embrouillé, ou carrément un point extérieur au cadre de l’écran, au moment où, porté au premier plan, l’épaisseur du trait légèrement ombré pour restituer l’arrondi, est la plus large. Ainsi, jusqu’à trois ou quatre couleurs différentes peuvent être employées avant que l’image complexe enfin obtenue ne se dissolve, simultanément rongée par le noir du fond en de multiples endroits, avant que ne surgisse l’amorce en boule d’un nouveau tube qui rapidement se développe, bifurque et repart encore, se superposant à ses dérives antérieures sans jamais les croiser, chaque chevauchement recouvrant le précédent dans l’espace virtuel de la fausse profondeur, constituant parfois des amas presque organiques tant abondent les circonvolutions. Ni la beauté ni l’audace ne sont absentes de certaines compositions affichant au premier plan des barreaux formidables ou, à l’arrière-plan, des armatures de maisons japonaises dont le quadrillage serré est ceint d’ensembles plus vastes qui l’organisent en plausibles parois coulissantes. On se perd en conjectures.
On distribue aux enfants des carrés de toile métallique, de vieilles brosses à dents et des gobelets pleins de gouache liquide. L’exercice consiste à frotter la brosse chargée de peinture sur la grille, au-dessus d’une feuille de papier : des myriades de gouttes couvrent alors d’une pluie colorée le support posé à plat. Par endroits, l’ajout d’épaisseurs supplémentaires de papier, ton sur ton, reste imperceptible sous l'averse tant que l'on n'a pas ôté ces caches discrets qui ont laissé vierge ce qu’ils masquaient. Les silhouettes négatives sont facilement identifiables : chien en plein élan, chat au repos, étoile de mer, croissant de lune, couronne, sapin stylisé, papillon aux ailes déployées, oiseau posé chantant… Parfois une surcharge de peinture, un geste maladroit, un défaut du treillis entraînent une irrégularité : amas exagéré de points ou raréfaction du saupoudrage, pâté au bord denté, traînée compacte, coulure. Les enfants sont assis sur de petites chaises autour de grandes tables circulaires et s’appliquent :
« On a fait de la bruine »,
diront-ils. Les points couvrent maintenant toute la surface… certains commencent à creuser l’espace, rapetissant encore, s’éloignant vers l’infini tandis que d’autres avancent en tournant. La salle de classe donne sur le coin le plus sombre de la cour, près des caves ; elle s’ouvre sur un parterre vide dont la terre brune mêlée d’une poussière de houille déposée par le vent est complètement stérile. Dérivation
La longue quête nocturne d’une chambre se termine à l’hôtel
« Les Quatre Vents »
à Sestri Levante, au bord de la mer ; les pensionnaires bénéficient d’un carré de plage délimité par des cordages montés sur des piquets métalliques et, à l’intérieur de ce parc, d’un parasol de toile bleue contre le manche duquel sont appuyées deux chiliennes de la même toile, pour le moment couchées et pliées ; le sol de sable, exempt de cailloux, a été ratissé. Le galet est petit et vert, irrégulier de forme et de volume ; son fond obscur est constellé de lunes plus claires en léger relief qui se chevauchent parfois jusqu’à former des amas, opérer des fusions, globules dont le lent mouvement a été fixé dans la gangue foncée et semble-t-il moins résistante que ces capsules dont le noyau central présente une troisième nuance (intermédiaire) de vert, cellules agrandies, parfois étirées en ovales approximatifs, visibles à l’œil nu, de tissus durcis et cassés puis lentement usés par les flots. Les variétés de ces échantillons semblent infinies, soit que les dégradés de vert se différencient encore, au hasard des amalgames, soit que le contact avec d’autres types de roches ait produit des altérations de proximité dans les nuances et dans les formes, soit que le tracé de veines hétérogènes ait perturbé puis remplacé le fouillis des satellites incrustés. A droite de la plage, deux bateaux émergés rouillent près d’un hangar abandonné et diverses pièces métalliques inutilisables traînent ; sur la gauche, les à-pics des falaises se prolongent par un îlot pointu cerclé de roches acérées, supplément sauvage de ce bout du monde composite et désordonné. Un nouveau caillou verdâtre se colore soudain d’un rouge foncé, choc qui en fait presque un morceau de marbre de Campan.
Tubulures coudées dynamiques : elles se constituent peu à peu à partir d’un point imprévisible et se développent en trois dimensions, selon l’illusion représentative bien connue. Le tracé est rapide et chaque fois différent ; il faudrait sans doute une très vaste expérience pour commencer à trouver des lois à ces inscriptions variables qui, pourtant, ont été programmées. Une seule couleur est employée d’abord ; le changement se fait imperceptiblement, le logiciel activant un point dans le fouillis des lignes de fuite pour opérer la mutation, à l’endroit ou le tube retors est le plus fin et le plus embrouillé, ou carrément un point extérieur au cadre de l’écran, au moment où, porté au premier plan, l’épaisseur du trait légèrement ombré pour restituer l’arrondi, est la plus large. Ainsi, jusqu’à trois ou quatre couleurs différentes peuvent être employées avant que l’image complexe enfin obtenue ne se dissolve, simultanément rongée par le noir du fond en de multiples endroits, avant que ne surgisse l’amorce en boule d’un nouveau tube qui rapidement se développe, bifurque et repart encore, se superposant à ses dérives antérieures sans jamais les croiser, chaque chevauchement recouvrant le précédent dans l’espace virtuel de la fausse profondeur, constituant parfois des amas presque organiques tant abondent les circonvolutions. Ni la beauté ni l’audace ne sont absentes de certaines compositions affichant au premier plan des barreaux formidables ou, à l’arrière-plan, des armatures de maisons japonaises dont le quadrillage serré est ceint d’ensembles plus vastes qui l’organisent en plausibles parois coulissantes. On se perd en conjectures.
On distribue aux enfants des carrés de toile métallique, de vieilles brosses à dents et des gobelets pleins de gouache liquide. L’exercice consiste à frotter la brosse chargée de peinture sur la grille, au-dessus d’une feuille de papier : des myriades de gouttes couvrent alors d’une pluie colorée le support posé à plat. Par endroits, l’ajout d’épaisseurs supplémentaires de papier, ton sur ton, reste imperceptible sous l'averse tant que l'on n'a pas ôté ces caches discrets qui ont laissé vierge ce qu’ils masquaient. Les silhouettes négatives sont facilement identifiables : chien en plein élan, chat au repos, étoile de mer, croissant de lune, couronne, sapin stylisé, papillon aux ailes déployées, oiseau posé chantant… Parfois une surcharge de peinture, un geste maladroit, un défaut du treillis entraînent une irrégularité : amas exagéré de points ou raréfaction du saupoudrage, pâté au bord denté, traînée compacte, coulure. Les enfants sont assis sur de petites chaises autour de grandes tables circulaires et s’appliquent :
« On a fait de la bruine »,
diront-ils. Les points couvrent maintenant toute la surface… certains commencent à creuser l’espace, rapetissant encore, s’éloignant vers l’infini tandis que d’autres avancent en tournant. La salle de classe donne sur le coin le plus sombre de la cour, près des caves ; elle s’ouvre sur un parterre vide dont la terre brune mêlée d’une poussière de houille déposée par le vent est complètement stérile. Dérivation
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