II
LE SUSPENSE : UN SPECTATEUR AVERTI
Quel est le « principe » du
suspense selon Hitchcock ? « Il s’agit de donner au public
une information une infirmation que les personnages de l’histoire ne
connaissent pas encore ; grâce à ce principe, le public en sait plus long
que les héros et il peut de poser avec plus d’intensité la question :
« comment la situation va-t-elle pouvoir se résoudre ? » .»[1]
Il s’agit d’un principe organisateur
inclusif ; autre duo, semble-t-il : le spectateur/le film ; le film
est pour le spectateur et le spectateur, par le jeu fluctuant des
identifications multiples, se construit aussi des « doubles »... mais
c’est en fait la réflexion que suscite le suspense qui le construit en tant que
tiers pensant : tiercéité fondamentale car Deleuze, reprenant
Truffaut, rappelle que « Dans l’histoire du cinéma, Hitchcock apparaît
comme celui qui ne conçoit plus la constitution d’un film en fonction de deux
termes, le metteur en scène et le film à faire, mais en fonction de
trois : le metteur en scène, le film, et le public qui doit entrer dans le
film, ou dont les réactions doivent faire partie intégrante du film (tel est le
sens explicite du suspense, puisque le spectateur est le premier à
« savoir » les relations). »[2]
Dès le début de « L’Ombre d’un
doute », on sait que le personnage principal est surveillé, qu’il est en fuite
et qu’il possède une forte somme d’argent : ce n’est pas l’oncle idéal. On
se doute que c’est un criminel : reste à savoir ce qu’il a fait
précisément, qui va le découvrir, quand
et comment ?
Il y a donc une grande différence
entre le suspense et la « surprise », même si des enchaînements peuvent
les rapprocher. Prenons un exemple de « surprise » : la chute de
Charlotte dans l’escalier, surprise atténuée parce que l’oncle regarde à la
fenêtre et que l’on entend l’air de la
valse[3]
qui est le leitmotiv du meurtrier. Charlotte elle-même réfléchit à sa chute et
c’est un raccord sur le regard qui crée un lien avec l’oncle. La
« surprise » arrive à la limite du « suspense ».
Suspense que l’on retrouve
ponctuellement dans la séquence de l’asphyxie de Charlotte dans le garage :
nous avons vu le piège mis en place par l’oncle qui veut tuer sa nièce parce qu’elle
le soupçonne d’être l’assassin des veuves. Nous avons envie de lui dire, comme
à guignol, « Non, n’y va pas ! », d’autant plus que depuis une
séquence précédente de flirt au garage entre Charlotte et son fiancé, nous
savons que la porte se coince et qu’on ne peut pas l’ouvrir de l’intérieur.
Il y a d’autres variations de détail
par rapport à la trajectoire d’ensemble du suspense : ainsi, Herbert,
l’ami du père de Charlotte, annonce que le meurtrier recherché a été identifié et
qu’il est mort... mais Charlotte et le
public en savent plus que les deux policiers qui croient devoir abandonner la surveillance de
l’oncle et de la maison familiale.
Le film construit peu à peu la
convergence des savoirs et leur égalité croissante: l’oncle sait que sa
nièce sait, elle sait qu’il sait qu’elle sait, le spectateur sait qu’ils
savent... Une lutte à mort est enclenchée : l’un des deux doit mourir, les
« doubles » ne sont plus complémentaires mais
« supplémentaires ». Reste à savoir comment la réduction s’opèrera.
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