IV
POLITIQUE
DU NARCISSE
Quelle « conception »
(terme sous-estimé de la rhétorique) du monde explique-t-elle les
assassinats ? Hitchcock, fournissant un « mobile » aux crimes, évoque un « assassin idéaliste ... qui se
croit chargé d’une mission de destruction ». On pourrait donc parler d’une
« politique » du Narcisse, d’un assassin fascinant, séducteur
intéressé de riches veuves.
Les repas, en
plus de leurs fonctions physiologiques (manger, boire...) et sociales (parler,
échanger...) sont aussi le lieu des auto-mises en scène narcissiques et c’est
lors de la séquence du second repas que l’oncle Charlie tient le discours
suivant : « Les grandes villes sont pleines se veuves mûres...
Leurs maris se sont tués à faire fortune en travaillant comme des forcenés, et
que font de leur argent ces veuves, ces inutiles ? On les voit par
milliers dans les hôtels, buvant, mangeant l’argent, jouant nuit et jour, puant
l’argent, fières de leurs bijoux et de rien d’autre... Vraiment, Charlie [il
s’adresse à sa nièce], des êtres humains ou des animaux à l’engrais ?
Et qu’arrive-t-il à l’animal trop gros et trop vieux ? ... Sais-tu que le
monde n’est qu’une porcherie ? Derrière la façade des maisons, c’est le
fumier. Ce monde est pourri... Toi et moi ne sommes pas des gens
ordinaires... » Ce discours se termine par un gros plan du
visage du séducteur-assassin (interprété par Joseph Cotten).
L’oncle justifie indirectement ses
crimes : il a trouvé un bouc émissaire qui explique la pourriture du
monde ; Il s’agit d’une « biopolitique » fascisante et sexiste :
le vocabulaire de la biologie (l’animal engraissé) double celui de l’économie,
et le « genre » méprisé (les femmes veuves) délimite une partie « inutile »
de la classe dominante.
Il s’agit d’un
« naturalisme » politique, d’un personnage traumatisé livré à ses pulsions criminelles
mais cela ne devient pas un naturalisme cinématographique : l’esthétique
du film reste fondée sur l’image-relation, la logique du suspense.
En contrepoint
partiel, le fiancé de Charlotte, Jack Graham, lui dit : « Le monde
n’est pas si noir que ça, disons que le monde est un peu fou par moments, il a
besoin d’être surveillé, comme votre oncle Charlie... » [1]
[1] « Chez Hitchcock, il n’y a jamais duel ou double : même dans « L’Ombre d’un doute », les deux Charlie, l’oncle et la nièce, l’assassin et la jeune fille, prennent à témoin un même état du monde qui, pour l’un justifie ses crimes, et, pour l’autre, ne peut être justifié de produire un tel criminel » Gilles Deleuze, Opus cité, p. 272. Dans la phrase qui précède cette citation Deleuze nuance son propos en montrant que la tiercéité a besoin de la dualité, que c’est parce que les doubles existent qu’ils peuvent être mis en relation mentale.
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