« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Splendeur des Amberson. 5.

 


5.

 

III .Une « Economie visuelle » baroque :


J’emprunte le concept d’ « Economie visuelle » qui dit que   «  le domaine de la vision est organisé en système... il évoque le rapport qu’entretient cette organisation avec la structure politique et sociale de la société et avec la production de biens matériels ou de consommation qui constituent l’élément vital de la modernité... » [1] .


A fortiori pour le cinéma. La production (les maisons de production , l’appropriation privée des moyens de production des images : qui finance, avec quels profits?), mais aussi la réalisation (Qui fait les images, comment ? Les studios, les techniques et leur histoire, les équipes techniques et la division des tâches), la diffusion (la distribution dans les salles de cinéma), la réception (ancrage social, culturel, générationnel du public).

Mais les images n’ont pas seulement une valeur d’échange (la marchandisation des films) elles ont aussi une valeur d’usage (le contact esthétique – le principe de plaisir).


Comment appliquer tout ceci au film de Welles ?


Il s’agit d’une adaptation : celle d’un roman de Booth Tarkington La Splendeur des Amberson, publié en 1918.[2]

Il est la seconde adaptation de ce livre : il existe un film de David Smith, « Pampered youth » (« Jeunesse choyée »), film muet de 1925 dont il ne reste que des fragments.[3]  Le long métrage initial de 1h 10 est perdu.

Puis, après Citizen Kane, Orson Welles adapte le roman en gardant son titre, « La Splendeur des Amberson », filmé en 1941-42, dont la version initiale est elle aussi perdue, définitivement.

Pourquoi ? Après les premiers tests, négatifs, de la réception par le public de la première version du film, les producteurs  la raccourcissent et modifient la fin ; ils refont tourner des scènes par un autre réalisateur...[4] François Thomas indique que « Quatre séquences seulement sont restées indemnes... », dont « la promenade de Lucy et Eugène où la jeune femme improvise l’apologue du jeune chef indien à la fois haïssable et irremplaçable » [5].

On comprend que la production, qui finance la réalisation, est aussi liée à la réception et à la distribution (le public, les salles...). Elle dépend de rapports sociaux, politiques, historiques : ce qui est possible à ce moment- là de l’histoire du cinéma et de la culture cinématographique du public.  

L’esthétique s’imbrique dans ces ensembles, bien entendu, quitte à les bousculer parfois.

 

                   A suivre ...



[1] Deborah Poole, anthropologue américaine. PHOTOGRAPHICA N°3, 2021, p.8.

[2] Equivalent du premier plan du film : « D’autres disparitions encore. Celle des petits tramways à chevaux cahotant sur l’unique ornière dessinée parmi les pavés. A la porte arrière de la voiture, pas de plate-forme, mais un marchepied où les voyageurs s’accrochaient en paquets mouillés par temps de pluie et d’affluence. Un unique mulet traînait la guimbarde ; il la sortait parfois de l’ornière, auquel cas les passagers descendaient et remettaient les roues à leur place. Le conducteur était extraordinairement accommodant. Une dame le sifflait-elle d’une fenêtre, aussitôt il arrêtait la voiture et attendait patiemment que sa client eût fermé la fenêtre, enfilé son manteau, mis son chapeau, descendu l’escalier, eût trouvé une ombrelle, donné ses ordres à la bonne pour le dîner et finalement parût devant la maison.

Les autres voyageurs ne protestaient jamais à propos d’une telle galanterie car ils réclamaient à l’occasion la même faveur. » p. 13.

[3] Sur Internet Archive (cf.  édition Criterion Blu-Ray « The Magnificent Ambersons ») : réduit à une version de 28 minutes, adaptation très loin du livre : double « happy end », séquence principale ; incendie et sauvetage qui ne sont pas dans le livre.

[4] Robert Wise, vraisemblablement, qui était le monteur du film.

[5] François Thomas, Cinéma 011, p. 142.


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